le recul du glacier Romanche (photo NVdK)
Avec Nicole van de Kerchove en Patagonie, à l'automne austral 2006. Chère, très chère Nicole. Ton silence de larmes portait si loin. Il y avait deux ans que tu n'étais pas venue jeter l'ancre par ici, à "caleta morning" . "Ton" glacier préféré, Romanche (du nom de l'aviso venu explorer là vers 1882-83), dans le brazzo Nordeste (à droite en partant d'Ushuaia) avait reculé de manière spectaculaire. Ta mémoire nous apprenait que les géants bleus fondent et fondent. La Patagonie peu à peu, voit se liquéfier ses empereurs gelés. Et où ira donc étinceler la lumière ?
Note : pour ceux que le sujet de la fonte des glaces polaires passionne, je mets plus loin un article (de moi) publié en mars 2007 par Géo (dans une version plus longue que celle figurant dans le magazine)
"Durant l'année 1951, j'ai croisé à plusieurs reprises la route de l'aviso français La Romanche - capitaine Martial, docteur Hyades -, qui explorait en 1882-83 l'univers à peine connu de la Patagonie fuégienne, de Magellan à l'archipel du Horn. Pour ma part, j'avais embarqué à bord du Micalvi, un petit navire hors d'âge de la Armada Chilena qui était à cette époque l'unique et secourable saint-bernard de ces chenaux désolés. Un soir de pluie chargée de grêle, le matelot de vigie cria : "Indios !". Il désignait un point au ris de l'eau, quelque chose qui sautait comme un bouchon sur les vagues et ressemblait à un canot.
"Une des deux ou trois familles, avait dit le capitaine, qui s'obstinent encore à naviguer:"
extrait de la préface de Jean Raspail à "Fous de Patagonie", aux éditions des Riaux.
Glaces polaires : la grande fonte ?
Il y a quelques années, certains scientifiques prudents prétendaient qu’il ne s’agissait que d’une parenthèse. Oui des glaces fondaient ; mais d’autres, sur les sommets, plus loin, épaississaient car il neigeait davantage. Depuis trois ou quatre saisons, la plupart des scientifiques se sont forgés une autre conviction. Leurs paroles, désormais, se font aussi rudes et étranglées que celles des Inuits : « C’est gigantesque. Nous vivons tout simplement de la plus vaste variation climatique connue, dans le temps le plus bref », souligne Robert Corell, océanographe, responsable du programme d’évaluation du changement de climat arctique aux Etats-Unis. « L’épisode auquel on assiste, en Arctique, est trop profond, trop important pour entrer dans les fluctuations habituelles, normales du climat », confirme Jean-Claude Gascard, du laboratoire d’océanographie dynamique et de climatologie du CNRS et en charge du programme Damoclès pour l’année polaire. « Il y a incontestablement une amplification de la fonte », conclut Jean Jouzel, géochimiste et directeur de recherches au CEA, patron de l’Institut Pierre-Simon Laplace. En grande partie car les températures évoluent dans les régions boréales avec une amplitude accrue. Ainsi, de 1955 à 2005 on enregistre 1°C de plus à Paris, mais une hausse de 3 °C en Alaska. Et si des simulations climatiques prédisent 4,5 degrés d’élévation moyenne (de 1985 à 2100, modèle MCCG1 canadien), elles prévoient 6 à 13 degrés de plus en Arctique.
En janvier 2007, la litanie des nouvelles dérangeantes en provenance du cercle arctique a repris. Quelques jours à peine après la demande, par l’administration américaine, de classement de l’ours polaire parmi les espèces menacées, on annonçe la découverte d’une immense plaque de glace à la dérive. Nommée Ayles, cette géante d'environ 66 km2 erre à travers la mer de Beaufort après s’être détachée de l'île d'Ellesmere, à l’ouest du Groenland. Un coin de terre jadis ceinturé de plus de 10 000 km2 de banquise. Ce pack en régression prend des allures de confettis et Warwick Vincent, professeur à l’université Laval y voit une illustration des conclusions, publiées en octobre 2006, du centre américain de recherche sur les glaces (NSIDC) : la banquise arctique, malgré ses 2 à 3 mètres d’épaisseur, se réduira en trois ou quatre décennies à une sorte de peau de givre, qui, l’été, disparaîtra totalement.
La ronde des nouvelles inquiétantes concerne aussi les deux millions de km3 de la calotte de glace du Groenland. Ce colosse contient encore 10 % des eaux douces de la terre, mais Tom et Jerry (deux satellites du système américain gravitationnel Grace, pas le chat et la souris du dessin animé…) ont mesuré une diminution notable de sa masse.
Les glaciers du Groenland se ruent vers la mer. Le Kangerdlugssuaq Gletscher, dans l'est du Groenland, s'écoule ainsi de 38 mètres par jour, trois fois plus vite qu'il y a dix ans. En 2005, cette accélération s’est étendue à une vaste partie de la côte. À partir des données de satellites radars européens et canadiens, les chercheurs évaluent que la perte annuelle globale de glace a doublé, passant de 96 km3 en 1996 à 220 km3 en 2005. La cause principale de cette accélération est aujourd’hui cernée : il s’agit de l’eau dite « de fonte », l’eau du glacier lui-même, qui pénètre par des crevasses jusqu'au socle rocheux et joue un rôle lubrificateur, créant de vastes « moulins » entre la glace et le sol. Tout se passe comme si le glacier accélérait lui-même sa propre destruction.
Rien n’indique que le phénomène puisse s’arrêter. Selon les derniers travaux, comme ceux de l'Arctic Climate Impact Assessment, sous l’effet du réchauffement global, lié à la concentration accrue des gaz à effet de serre, la température moyenne en zone arctique devrait encore s'élever de 4°C à 7°C d'ici à la fin de ce siècle.
La masse de glace de l’Antarticque amortit les variations
L’effet du réchauffement est beaucoup plus difficile à lire au Sud qu’au pôle Nord. Les hausses de température de l’atmosphère se trouvent, comme au Nord, amplifiées, pour des raisons de circulation et d’effet albédo (le phénomène de réflexion du rayonnement), mais la masse de glace du continent austral _ 30 millions de km3 et de 2000 m d’épaisseur en moyenne _ possède une inertie thermique tellement colossale que les variations y sont amorties. Au centre du continent, les températures moyennes varient entre -35°C l’été et -70°C l’hiver ; on conçoit qu’une élévation, même de cinq degrés, a un impact relatif sur la calotte de glace.
A l’est du continent, on observe même un épaississement des couches de glace, sous l’effet de précipitations accrues. A l’ouest - et particulièrement dans la péninsule qui remonte vers le cap Horn -, l’influence de la mer adoucit le climat, et l’activité géothermique du sous-sol réchauffe les glaces par leur socle. La plupart des glaciers de la péninsule fondent ainsi et des plateformes de banquise se détachent régulièrement en mer de Weddell remontant vers les continents et la Nouvelle-Zélande, au gré des courants, de façon spectaculaire.
La question est de savoir si, dans sa globalité, le continent antarctique se trouve en déficit de glaces. Les études récentes sont contradictoires. « Nos mesures actuelles ne sont pas encore suffisantes. Elles manquent de recul. En ce qui concerne le bilan global entre pertes et recettes, l’appareil critique est ouvert », explique Michel Fily, directeur du laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Grenoble.
À l’occasion de l’année polaire, nombre de missions seront renforcées. Il s’agit - entre autres - de débusquer le site idéal pour un forage très profond, à 4000 mètres, afin d’étudier les variations climatiques sur 1,2 millions d’années et au-delà. Le record actuel à la base de Concordia est de 800.000 ans. « Nous aimerions trouver la réponse à la question : pourquoi les cycles des grandes glaciations d’une durée de 100 000 ans se sont-ils mis en place il y a 1 million d’années, alors qu’auparavant, ils étaient de 40.000 ans ? », poursuit Valérie Masson-Delmotte, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.
La fonte des pôles va-t-elle modifier le climat sur le reste de la planète ?
Difficile à dire. Le climat est la résultante de mécanismes complexes et l’on ne sait pas encore mesurer l’impact exact de la régression de la banquise. Ainsi, la glace de mer réfléchit la lumière vers le ciel, et seuls 20 % du flux solaire pénètre ainsi répétition dans l’Océan. Si les glaciers disparaissaient entièrement, 80 % de l’énergie solaire seraient captés par la mer, qui se réchaufferait alors nettement. Mais, au-dessus de ces eaux libres, peut se former soit de la brume, ce qui favorise le réchauffement de l’air, soit des nuages blancs d’altitude qui font écran et rafraichissent l’atmosphère.
De plus, la fonte des glaciers injecte de l’eau douce dans la mer. Le taux de salinité diminue et la quantité d’eau entraînée vers le fond baisse. De quoi modifier les courants marins, notamment le Gulf Stream qui réchauffe nos côtes. Celles-ci – et tout l’Ouest de l’Europe – pourraient donc, avec un Gulf Stream déréglé connaître un refroidissement, que la plupart des scientifiques jugent toutefois sans commune mesure avec le réchauffement du climat en cours. «L’un des intérêts du programme européen Damoclès est de lever ces doutes, » confirme Jean-Claude Gascard.
On observe déjà la hausse du niveau des mers
Actuellement, cette augmentation du niveau des mers est de un à deux millimètres par an. Le responsable de plus des 3/4 de cette élévation n’est pas la fonte des glaces, mais la dilatation de l’eau de mer. Sous l’effet de la hausse des températures, l’eau occupe davantage de volume.
Dans les archives géologiques , on peut lire que lors du dernier réchauffement « naturel » (120.000 ans), la variation du niveau océanique a conduit à une hauteur supérieure de 6 mètres à celle d’aujourd’hui. Les modèles de simulation les plus récents tablent sur une accélération du processus de fonte : cinquante centimètres environ pour ce siècle.
Et à plus long terme ? Quelle est la hausse générale prévue du niveau des mers ? Si les plus fragiles des calottes du Groenland et du continent antarctique fondaient, c’est à une hausse d’une douzaine de mètres que l’humanité se verrait confrontée : six à sept mètres de marée provenant du Groenland et le reste de la zone la plus fragile de l’Antarctique, la calotte ouest qui représente 15 % des glaces australes. Si la totalité de la « cryosphère » terrestre comme disent les experts – les glaciers de l’Antarctique (29 millions de km3), du Groenland (2,6 millions de km3), des montagnes et des zones froides (200.000 km3) – se liquéfiaient totalement, les 357 millions de km2 des eaux de la planète connaîtraient une marée d’environ 85 mètres (77 mètres en toute rigueur, en tenant compte de quelques corrections). L’Antarctique en serait responsable pour 70 mètres, le Groenland du reste.
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1 commentaire:
Entre certitudes et incertitudes, une honn�te synth�se scientifique. Une �l�mentaire remarque politique connue est : 'que d'eau, que d'eau !".Alors Mesdames et Messieurs les scientifiques, continuez � aider vos contemporains � conserver la glace le plus longtemps possible, avant que notre civilisation occidentale ne bascule dans un �ge de glace, qui fait froid dans le dos.
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