17.5.07

Comment "savent" les insectes ? (1) Le géant du chêne

Capricorne, au stade de larve, n'est qu'un creuseur. Un forçat tout à son festin de bois. Trois ans durant, aveugle, sourd, sans odorat, "ce bout d'intestin qui rampe", comme le décrit l'entomologiste Jean-Henri Fabre dévore le coeur des arbres. Rien ne résiste à ses bouchées. Pas même les gros durs, ces chênes qui s'abattent soudain, sous un orage d'été, découvrant le dramatique entremêlis de tunnels secrets.

Pour ce boyau qui fait des loopings au fond du bois qu'il rebouche de ses excréments en avançant, le chêne est à la fois aliment et maison. "Vivre et couvert", dit Fabre. Et il s'en porte bien, le taraudeur mou, puisqu'a force des bouchées qu'inflige sa mandibule noire, sorte de cuiller à bord tranchant, il fait sa graisse, grossit, amasse.
Grand Capricorne "cerdo" (à droite)

Mais Cerambyx miles (Capricorne du chêne) est aussi porteur d'un mystère. Comment cet écervelé fait-il tout ce cirque ? Car enfin, incroyable manège il y a ! L'intestin aveugle, un beau jour, cesse soudain de se gaver de l'arbre. Sous l'effet de quel signal, de quelle horloge, de quelle modification ? Mystère. Toujours est-il que le vorace met le cap vers l'écorce. Il creuse tout près, mais ne la perce pas. Non. Surtout pas ! Ce serait risquer de se faire happer par un oiseau qui piquerait par là ("qui ferait régal de la succulente andouillette" écrit Fabre). Mais il prépare une fenêtre, une sorte de meurtrière camouflée. Cette future ouverture ménagée, il s'en retourne un peu plus profond et cette fois taille sa chambre. Un abri douillet pour réaliser sa nymphose : sa transformation en imago (adulte) rigide et à longues antennes.

Des années durant, Fabre fait débiter par les bûcherons de Provence les vieux arbres, recueillant larves et coléoptères. Des mois entiers il les enferme dans de petites boîtes de chêne, de bambou, et teste leur capacité à percer, à ne pas se perdre. Il en déduit que c'est bien la larve qui prépare la sortie, et non l'imago, devenu incapable de tarauder. Il observe et note mille choses. Que la chambre de la nymphe, menacée par les prédateurs, a son orifice clos d'un composite. Un sandwich solide, fait de trois matériaux : à l'extérieur des débris ligneux, du bois haché. Puis un opercule minéral, un couvercle d'un seul tenant, fait de pâte calcaire et d'un ciment organique, qui donne à cette pilule la résistance du roc. On peut s'étonner au passage que l'estomac de la larve soit capable, à un moment de son existence, de changer de régime, et de sécréter un tel mélange. Fabre répond que de nombreux insectes, comme le Sphex ou les Scolies sont capables de prouesses chimiques de même acabit, et usinent par exemple une laque dont il protègent leur cocon.

La chambre de la nymphe est totalement adaptée au cours des événements futurs : un ellipsoïde aplati, de dix centimètres de long et de deux à trois centimètres de large dans les deux directions, au centre. Une forme et une taille qui permettront à l'animal transformé en adulte d'abattre la porte, de franchir sans souci la sortie prédécoupée dans l'écorce.
Toujours la larve "s'endort" la tête vers la porte de sortie. Là, c'est question de vie ou de mort. Devenu coléoptère rigide et encombrant il ne pourrait plus se retourner, l'animal. Ils se verrait emmuré dans son tronc. Comment le sait-il ? Comment un être aussi frustre, isolé de ses parents et de ses frères peut-il tenir tant de comportements en lui ?
Un siècle après les élégants "Souvenirs entomologiques" (1907) de l'instituteur peu à peu devenu ce premier observateur capable de voir les insectes, le mystère reste, fascinant. On ne parle plus d'instinct, oh non. Mais on rêve encore à ces secrets.

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