23.2.08

Nicole


(photo Sara Fleury)


Vidéo : l'hommage de Thalassa du 28 mars (par Stéphanie Brabant) (12')


A ceux qui demeurent lorsqu'un amour, une soeur, un être plus précieux que l'eau dans ce désert de poussière s'évapore, il reste l'impalpable bonheur de ce qui fut donné.

La déflagration de la disparition de Nicole van de Kerchove s'adoucit pour moi du frôlement infini de sa légèreté. Un frôlement de cette neige qui tombe avec lenteur sur les Dents de Navarino, Terre de Feu. Sa voix bruisse donc à jamais par là, dans cet entrelac de reflets, de montagnes et d'hommes qu'elle affectionne entre tous. Non loin de son glacier Romanche, non loin de son Yendegaia, à l'ouest d'Ushuaia, où, murmure la navigatrice  "je me sens humaine parmi les humains, cela me fait toujours cet effet".

Elle est retournée en Patagonie il y a quelque jours, humer cet air de sel et de tourbe, sentir le vent harasser le canal Beagle, affoler les moutons et soulever les crinières. On pourrait s'attarder sur le reflet des étoiles ou les jeux des phoques. Mais avant tout ce que le bonheur de Nicole tait, c'est que par là-bas la dernière pierre vous parle du monde avec davantage d'étincelles que nos mots.

Elle y est retournée sans bateau. S'étourdir à contempler les glaciers, camper, dormir dans les estancias, préparer un périple à cheval, sourire à des visages ridés de soleil.

Elle y est retournée. Et comme toujours voyageait en elle la flottille de tous ceux dont sa vaillance avait fait, de Pontrieux à Keri Keri, sur tous les pontons, dans chaque mouillage, dans la moindre taverne, des amis. 

La femme en quête d'"Autre chose" - le titre du manuscrit dont elle venait d'achever l'écriture - ne reviendra pas. Au matin de cette randonnée, au bord de ce lac tranquille des Dientes de Navarino, elle s'est allongée. Et son coeur, comme on le pensait chez les indiens Yamanas, s'est fait nuage.

Il faut bien que les nuages viennent de quelque part.

Brassos, brassos, brassos, Nicole.



Los Dientes de Navarino (photo Stéphane Barbet)




A saluer le phare des Eclaireurs, sur le Beagle, entre Ushuaia et l'île Navarino.


Textes divers :
- entretien avec Jacques Rey (STW)
- le temps



Hommage à Pontrieux le 22 mars
une synthèse, des textes, des images, devant l'Esquilo
d'autres images
le forum STW (avec l'article de Hugues sur la cérémonie)


Chère Nicole
(texte écrit pour être lu à Pontrieux le 22 mars)

Je n’ai jamais trouvé facile de parler de toi, alors aujourd’hui…

Cela me semble aussi facile que de décrire la forme d'une vague ou l’étrange couleur bleue d’un glacier de Patagonie.

Et puis chacun de nous doit avoir SA Nicole serrée dans son coeur, non ? Sa facette de toi, qui éclairait tant et dans toutes les directions, comme une boule de Noël accrochée au sapin du bout du monde, comme un phare à la fois proche et lointain, et si chaleureux.

Alors, amis, si vous permettez, je voudrais vous parler un peu de la Nicole que je connais. Au présent, puisqu'au fond cette journée n'est rien d'autre qu'une occasion de continuer à parler avec elle, ces jeux de mots et de Vie que Nicole aime semer comme des petits feux, partout ou elle passe.

Nous nous écrivons tous les jours, ou plutôt toutes les nuits, vers minuit ou une heure. Qu'elle soit au Spitsberg ou en Patagonie, il est bien rare que son petit esquilovdk ne surgisse pas dans mon ordinateur, pour y lancer quelques mots de créole, pour papoter et chasser les fantômes de la vie. Je ne suis de loin pas le seul à avoir ce genre de conversation avec elle. C'est un de ses "vices", dit-elle, le courrier. Sacrée Nini. Elle adore bombarder les autres de mots, de lettres, de photos, de cartes d’anniversaires, est capable de parcourir la rue d’Ushuaia pendant des heures pour trouver une surprise, un cadeau. Ses pensées pour les autres… Et les pensées des autres. Elle n’aime rien tant que de découvrir une pile de courrier qui l'attend à l'escale. Elle en bondit de joie.

Qui est Nicole ?

C'était le 1er janvier dernier. Une journée de soleil avec un souffle glacé et tout bleu, vers l'entrée du Trieux.

Nous redescendions du rocher aux Oiseaux, avec Yagan le "loup blanc", comme disent les enfants à qui elle répond toujours « oui oui c’est un loup, » de peur de briser leurs espoirs.



Il y avait ce paysage ou elle s'était arrêtée pour contempler la rivière et parler de tout ce qu'elle comptait faire, cette année. Emmener l'Esquilo en Irlande, préparer d’irraisonnables cavalcades en Patagonie. "Et dis, ton idée de louer un appartement à Venise, et d'y rester un bout de temps ?"

En l’écoutant, je sors mon carnet et dessine une partie de la rivière, les rochers de cette crique de « bout du monde ».

Elle finit par venir voir, regarde le dessin, et rit : "ah tu fais des progrès dis donc mais je ne suis pas sur ton dessin alors que j'y étais, assise sur le rocher, là". Je lui dit que pour moi elle est dans la lumière. Qu'il y avait pas besoin de la dessiner, puisque sans elle je n'aurai pas même commencé ce dessin"




Qui est Nicole?

Quelqu’un qui ne pèse rien lorsque vous la soulevez et dont la seule présence tout à coup vous fait la plus belle vie du monde.

Pour les gens elle a gardé cette crainte d'enfant, cette timidité plus redoutable que les vagues. Mais aussi la force, irrésistible, de rencontrer, d'aller toucher votre bras et de plus vous lâcher.

Tous, nous restons les enfants que nous avons su être. Malmenés entre frissons de craintes et espoirs irrésolus. Construits par eux. Parfois un peu cabossés, aussi.

Je l'imagine, Nicole, gamine, dans sa Normandie à chevaux et à pommes, pianotant, faisant voler sa musique, rêvant d’horizons et d’aventures comme dans les livres. Se demandant à quoi ressemblerait la caravane des rencontres de sa vie.

Et bien nous savons, maintenant. Nous pouvons en parler avec elle, de tout ce joyeux fatras. Et je l'imagine, qui rit de m'entendre parler d'elle comme si elle je la tenais pour une sorte de Peter Pan ou de Pinocchio.

Je l’imagine comme quelqu’un qui a trouvé une manière d’être au loin pour être plus proche de tous ceux qu’elle rencontrait.


On pourrait poursuivre. Lui offrir des livres et des livres de citations. J'avais commencé à sortir des grands auteurs de mes étagères. Et puis Moitessier, qui a tant pesé sur elle, et même Shakespeare, qui lui va si bien, car il est a la fois grave et si léger, lorsqu’il parle du temps et de la vie.

Ce serait trop.

Juste je voudrais vous dire cette phrase de Nicole. Une phrase qui habite quelque part dans « 7 fois le tour du Soleil »

"Je regardais la mer, toute cette étendue sans frontières, sans routes tracées... Mieux que des phrases, c'était devant mes yeux la définition du mot "liberté". Un de ces mots que je redoute. Un mot vaniteux qui veut définir à lui seul quelque chose de si grand, de si beau, quelque chose dont l'existence même me semble douteuse. Avec un bateau je pourrais partir... Et voila le rêve qui reprend le galop..."

Pour cesser mon bavardage à la fois heureux et triste, j’appelle Joshua Slocum, qu’elle lisait et relisait sans fin. Qu’elle aimait comme un grand-père. Il s’agit de la dernière phrase du fameux « Navigateur en solitaire » (ainsi titré dans la collection Babel) :

« Les jours s’écoulèrent heureux pour moi dans tous les lieux où me conduisit mon navire »


Sonate Tempête, 3ème mouvement, Beethoven, par Wilhelm Kempff (num 17 en Ré mineur)

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Nicole est partie.
Heureuse à jamais.
Je vois son dernier sourire au milieu de la grande Dame Nature.
Elle pense à Kim, Kevin et Sabrina.
Il est doux de pleurer.

Luc

Anonyme a dit…

Au revoir Nicole.

Anonyme a dit…

De douces pensées volent vers vous ...

Anonyme a dit…

Merci pour ce très bel hommage qui redonne, après le choc et le vide ressentis, la force de faire vivre ce que Nicole a si bien donné.
Odile (élève de piano)

Anonyme a dit…

Pourrais-tu me renvoyer ton adresse Email ?
Merci Patrice.
Luc

(.) a dit…

Luc, c'est mon prénom, @ et lanoy.com
a bientôt

Anonyme a dit…

Nicole,

An Itron Feuteun Kaer, La Dame de Belle Fontaine : c’est ainsi que tes voisins de Pontrieux t’appelaient , dans cette région des Côtes d’Armor toujours bretonnantes où tu avais choisi de vivre, jusqu’à ce qu’au fil des années, des relations de voisinage, des amitiés nouées et de ta notoriété tu deviennes tout simplement : Nicole.
Tu avais trouvé là ton port, et tout prés celui de ton cher Esquilo, et nombreux étaient les amis qui venaient de tous les horizons avec bonheur y faire escale car ton hospitalité était légendaire. L’un de tes plus grands plaisirs était de faire se rencontrer celles de tes connaissances dont tu pensais qu’elles auraient des affinités et ça ne manquait jamais tant il est vrai que les amis de nos amis sont nos amis. C’est à toi que nous devons nos meilleures amitiés…

C’est de Belle Fontaine que ce 23 février dernier Stéphane m’apprend que tu ne reviendras pas de cette Patagonie que tu aimais tant.
Le choc nous laisse secs et muets, puis viennent les larmes tandis que le sommeil s’enfuit et que pensées, souvenirs et regrets mobilisent le cerveau qui tente d’imaginer la vie sans toi qui nous accompagnais depuis si longtemps et pour de si longues années encore pensions-nous, tant tu paraissais indestructible.
Les pensées pour tes enfants que nous avons vu grandir et à qui tu vas tellement manquer, à tes innombrables amis de par le monde, car tu aurais pu dire comme le poète québécois Richard Desjardins que tu avais plus d’amis que mille Mexico…
Mon beau navire, O ma mémoire, avons-nous assez navigué, de la belle aube au triste soir *…et ma mémoire ouvre l’album des souvenirs accumulés en un tiers de siècle, de notre première rencontre sur les quais du port d’Horta en ce mois de juin 1975, alors que tu arrives des Antilles achevant ton tour du monde jusqu’à ces quelques jours heureux coulés en novembre dernier à Belle Fontaine où nous avons pu savourer comme jamais peut-être ce trésor merveilleux que peut être l’amitié.
Nous nous étions bien promis de recommencer plus souvent et c’est un des regrets que nous laisse ton départ : celui de n’avoir pas plus souvent pris du temps pour être ensemble.
Il me revient d’avoir un jour lointain, cherchant à te joindre, téléphoné à ta sœur Martine qui m’avait fait ce commentaire : ah, Nicole, il faut la suivre ! En effet, , il devait souffler un sacré vent lors de l’équinoxe d’automne qui t’a vu naître ! Un souffle qui te poussera toute ta vie vers l’aventure. Tu aurais pu faire tienne cette phrase en breton gravée sur un monument à Nantes : an dianav a rog a c’hanoun, l’inconnu me dévore, tant l’envie d’ailleurs te poussait à faire ton sac et à appareiller vers les destinations les plus diverses.
La vie n’a pas toujours été douce avec toi, les épisodes difficiles, douloureux ne t’ont pas épargnés, tous surmontés avec un courage admirable mais je sais que tu avais ces dernières années atteint à une certaine sérénité, emplie peut-être du sentiment d’avoir mené ta vie à ta guise, de l’avoir en tous cas bien remplie d’enfants, de bateaux, de musique, d’aventures, d’amis, de rencontres, de chiens et de chats. Lors de notre échange de vœux au nouvel an, ne me disais-tu pas ne rien souhaiter de plus, étant tellement gâtée ?
Mais la vie peut aussi faire de somptueux cadeaux, et celui de ton amitié en fut un fameux. Nous aimions en toi ce mélange de force et de douceur, ta sensibilité et ta générosité, ta modestie et ta délicieuse ces qualités rares qui faisaient de toi un exemple le modèle de la meilleure des amies.
Je crois moi aussi aux forces de l’esprit et je sais qu’en réalité tu ne nous quittes pas, même si jamais plus je ne serais charmé par le timbre mélodieux de ta voix, si je n’entendrai plus ton rire de gorge, si je ne lirai plus venus des endroits de la planète les plus inattendus les mots affectueux tracés de ta si belle écriture, je te sens toujours prés de nous.
Tu es juste partie pour une longue croisière…


Anne et Yves Pichard


*Guillaume Apollinaire, Chanson

Anonyme a dit…

Merci de nous offrir toutes ces informations sur cette grande dame que je sens si proche alors que je ne l'ai pas connue. Merci pour cette poésie qui fait que je sens sa légèreté, sa douceur, sa force, comme un parfum de liberté qui est là.

Anonyme a dit…

Bonjour Nicole,
Je t'ai rencontrée il y a de cela quelques années, lors d'un festival près de Rennes.
Je m'en souviens très bien.
J'ai vécu grâce à toi un moment très émouvant et j'ai souhaité te le faire partager. Alors tu m'as proposé de venir te rencontrer à Belle Fontaine.
Ta simplicité, ta discrétion m'ont donné le sentiment que nous appartenions à une même famille.
Et parce que je savais que tu regardais bien au-delà des apparences, je n'ai pas osé jusqu'à ces dernières semaines te contacter.
Alors, j'ai appris la nouvelle et je t'ai pleuré comme une personne de ma famille.
Je regrette de n'avoir pas su ou pas pu franchir la porte que tu m'ouvrais.
Je mesure aujourd'hui ton absence mais elle n'est rien au regard de ceux qui t'ont aimé.
Je pense très fort à tes enfants, à Kim et à tes proches.
Avec toute ma tendresse,
Aurélie

Anonyme a dit…

Nicole,

Vraiment important pur moi, to que m'appris la navigation au sextant dans un cahier de cuisine,les promenades avec MOPETiT et Julia des années après.
C'est vraiment dommage de pas s'avoir vu un peu avant de que tu sois parti
Zut comme tu m'avais dit

Lili

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