L'homme est le songe d'une Ombre (Pindare)
Une fois, une seule, mon oeil s'est adressé au noir absolu. Je volais dans le ciel, à plus de 12.000 mètres d'altitude, quelque part au-dessus de la Cornouaille. Cet été 1999 nous glissions à bord d'un Concorde, entre mer et zénith, à vitesse supersonique, attendant sur la trajectoire qu'"elle" allait emprunter, d'Occident à l'Orient. Et nous "la" guettions de tous nos yeux impatients. Lorsque le Concorde vira vers "elle", incliné sur l'aile comme un chasseur, nous plaquant sur nos sièges, ce fut le signal. Je ne sais pas si l'on respira.
D'abord, par le hublot du haut, penché vers les étoiles, le Soleil se voila. Puis d'une ruade l'astre apparut comme percé en son centre, traversé d'une ouverture d'une noirceur absolue. Jamais je n'ai revu un tel néant. Un diamant aveugle. Un astre muet, enrubanné de quelques dernières et impuissantes flammes de lumières. La couronne solaire accentuait de ses méduses vertes, oranges et terribles le calme sans fin de ce centre plus noir que rien. La Lune masquait le Soleil et l'on se sentait happé, aspiré dans ce que l'on aurait juré être un tunnel perforé à travers la lumière. J'étais certain de pouvoir y passer la main.
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Le hublot du bas, incliné vers l'Océan, livrait un tout autre grabuge. Ici, vers le "bas", on dominait les houles de l'Atlantique. "Elle", la tache immense, arrondie comme l'horizon, projetée sur les nuages et la mer, accourrait vers nous à la vitesse du son. L'Ombre. L'Ombre nous rattrapait. Déjà elle était sur nous. Tellement sombre et plus rapide que tout ! Projection parfaite sur les flots de la silhouette de la Lune qui dans l'espace, était venue masquer le Soleil à la Terre.
Alors la lumière devint de cendres. Et dans l'éclipse, on voyait, entre l'Océan et nous, une armada d'aéronefs croisant en tous sens, phares allumés, clignotants, hébétés et stupéfaits. Nous étions dans l'Ombre.
La lumière est le plus vaste, le plus caressant secret de l'univers. L'Ombre l'accompagne. L'Ombre, qui depuis l'aube des Hommes, sert à estimer, à soupeser le temps qui file comme la course du Soleil. Avec elle, on mesure la hauteur des pyramides sans y grimper. Mais se souvient-on comment Aristarque de Samos a arpenté la distance entre le Soleil et nous ?
C'était au III-ème siècle avant notre ère. L'astronome Grec se campa sous la lune, un jour ou l'ombre sur la Lune, au midi, la découpe exactement en deux. Il savait ainsi qu'entre lui, la Lune et le Soleil un angle droit s'était formé. Figure parfaite du ciel. Connaissant la distance de la Terre Lune, qu'une autre ombre, l'éclipse de Lune, lui avait livré, il en déduisit que le Soleil, pourtant tellement apparent et ardent, était au moins 19 fois plus lointain dans le ciel que la Lune. En fait on sait aujourd'hui qu'il s'agit de quatre cent fois. La mesure d'angle d'Aristarque était trop imprécise. Mais l'Ombre lui avait enseigné à l'essentiel : ce soleil immensee est lointain, et les apparences ne sont rien.
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Enfant, longtemps je tenais mon bras en l'air, au lit. Et contemplais l'ombre sur le mur, me questionnant sur la vitesse des ces choses. L'Ombre va-t-elle plus vite que le bras ? Aussi vite ? Comment est-ce possible ? Riez. Des centaines de fois j'ai plaqué mon bras sur la couverture, pour tenter de semer l'Ombre. Et c'est en observant dans le ciel le retard ou l'avance qu'avaient les satellites de Jupiter sur leurs positions "calculées", qu'Ole Rømer découvrit (1676) que la lumière ne voyage pas dans l'instant, mais avec sa fameuse limite (c = 299 792 458 mètres par seconde). Rien ne peut se faire dans l'instant. Notre Univers est bien le théâtre des Ombres.
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