17.5.07

Premières pages du roman

C’était avant. Parfois le soir nous allions nous percher sur la falaise et regardions le soleil se noyer. Loin, là-bas, il touchait les vagues et hurlait de toutes ses couleurs rouges. Terrible. Mais je ne le lâchais pas. Patricia se foutait de moi. Je le fixais encore et encore. « Ne regarde pas, idiot, tu veux finir aveugle ?» Je continuais jusqu’à en avoir mal. Après je le tenais. Il m’obéissait, le soleil. Je le posais sur sa peau. Je le faisais danser à nos pieds. Et si je fermais les paupières, il flottait dedans, prisonnier. Alors je serrais Patricia et lui disais qu’il fallait qu’elle comprenne. Qu’avec le soleil je devais être un peu voleur de feu et que si cela la consolait elle n’avait qu’à m’embrasser. Elle le faisait, posait ses lèvres sur mes yeux et riait. C’est ce que je voulais. Son rire. Son rire qui écartait mes cauchemars et mettait en fuite toutes les pieuvres du ciel. Ce rire de soie dont je croyais qu’il suffirait à dérober au temps nos désirs et nos âmes, en plus de tous nos secrets. Mais non c’est raté. Patricia s’est évanouie. Deux années déjà qu’elle est partie. Deux années sans respirer.


Voilà trois jours et trois nuits que nous sommes partis du port. Et c’est seulement maintenant que je commence à remplir ce livre de bord. Celui du Morpho. On raconte parfois que lorsque la vie repart elle claque du fouet. Je ne crois pas. Les voyages, les vrais, ne font pas de bruit. Ils s’approchent en silence. Ils vous emportent avec caresses et sans avertir. Et quand ils font mal il est déjà trop tard. C’est peut-être ce qui m’arrive, avec les gosses? Ce n’est qu’à présent que je sais que nous avons été enlevés au monde. Je suis bien forcé. Je vois bien que plus rien, même pas le temps, ne nous retient.


Il y a trois jours. Et si j’étais resté agrippé à ma besogne et emmuré dans mon remords, rien ne serait arrivé. Les gosses ne m’auraient jamais accosté. Mais voilà que je pose mon pinceau et que je lève les yeux. À cause du bruit : des mouettes et des sternes qui se cognent, par-dessus le port. Ah ça, pour gueuler… C’est une mêlée, une bataille en plein ciel. Des coups de becs, les griffes en avant, pour savoir qui bouffera avant les autres. Le cirque de tous les après-midi, lorsque les pêcheurs rendent à la mer tout ce que les hommes n’avalent pas.
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