Il y a celles que l'on savoure, et ces autres, que l'on fuit. Révélatrices et profondes, les questions. Des valises de mots qui clament qui vous êtes.
Moi, quand on me mâchonne : "pourquoi le ciel est bleu ?" c'est baillement, étirement, et puis tiens je vais me coucher. On y croit pas. On sent que celui qui demande n'est pas ébloui pour un radis, tu parles. Il ne désire ni en grignoter une miette ni même se fâcher.
Mais si à la fin d'un dîner arrosé, l'été, alors qu'enfin les cigale ronflent et que quelqu'un regardant palpiter la voie lactée se laisse à soupirer : "mais pourquoi la nuit est-elle noire, avec toutes ces étoiles, cela devrait être éclairé", là, soudain, je m'épanouis. En voilà de la question. De la belle.
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Je ne résiste pas. Je sors mon Poe. Edgar Allan (écrivain américain, journaliste poète, romancier du XIXème) qui se passionna tant pour les mystères que non seulement il en truffa ses écrits (et ses mystifications journalistiques), allant chercher par là nombre de ses lecteurs et admirateurs, mais encore il en imposa aux savants du temps. L'envergure de son esprit lui permettant de faire bien plus que de la figuration. Ainsi à propos de notre mystère du grand noir, ce cher Allan n'était pas le moins étincelant. Dans "Eureka" (1848), sans reculer, il enlace la question :
"... Si la succession des étoiles était illimitée, l'arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme celle déployée par la Galaxie, puisqu'il n’y aurait absolument aucun point, dans tout cet arrière-plan, où n'existât une étoile. Donc, dans de telles conditions, la seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous...."
Tout est dit. Le texte est plus long, bien entendu, mais la science "moderne" de ce début de XXIème a-t-elle quelque chose à ajouter à cela ? Quelques broutilles.
Ce qui interpella les scientifiques, dès le XVIIème siècle, tenait dans l'idée que si le ciel était une "forêt" d'étoiles, à la manière d'une forêt d'arbres, les troncs auraient du faire, dans le lointain, une palissade de lumière, aux yeux des Terriens. Tel n'est pas le cas, en effet.
L'explication "moderne" de ce paradoxe est très voisine de celle de Poe : les distances de l'univers sont si vastes, et l'expansion du cosmos si rapide que l'énergie lumineuse des étoiles ne suffit pas à remplir ce chaudron. Tentez donc de remplir une baignoire qui grossirait à la même vitesse que coule l'eau qui doit l'inonder...
- Oui mais, et le ciel bleu, dites, un peu...
- Bon. Mais vite, alors. Je dors déjà.
Dans la journée, lorsque notre soleil est de notre côté, sa lumière nous éblouit, nous privant du noir "normal" du cosmos... Cette lumière, blanche avant de traverser l'atmosphère, est au passage "capturée" et réémise en cascades innombrables par les molécules de l'air. Les propriétés physiques de ces gaz produisent une sélection des couleurs, dans des directions privilégiées (diffusion de Rayleigh). On voudra bien noter que le ciel n'est pas bleu de façon uniforme. Certaines directions le sont davantage que d'autres. Et la lumière qui finit sur notre peau n'est pas davantage bleue. Il ne s'agit donc pas d'un "filtre" uniforme.
Mais vous savez bien, les couleurs n'existent pas. Ce sont nos yeux qui les "inventent" (ah non, c'est une autre question...)
"Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, – murmurai-je, – qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela et rien de plus. »..."
Début du Corbeau (1845) par Edgar Allan Poe (et traduit par Baudelaire)
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