Pas plus que nous pensons à nos pas, une mouche ne se soucie du labeur incessant de ses ailes. Et pourtant, quelle usine !
Chez la drosophile, la petite folle de vinaigre aux yeux rouges, il faut 200 battements par seconde pour s'arracher du sol. Avec, à chaque fois, un choc violent entre les ailes, dans le dos de l'insecte. C'est lui qui permet de créer un phénomène stupéfiant : une petite dépression d'air, qui induit des tourbillons précis, et provoque finalement une portance sans rapport avec la ridicule surface de ces moignons.
Un exemple aérien et frappant, quant à la manière dont le vivant explore et se joue des lois de la mécanique terrestre !
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Cette conquête de l'air eut lieu voici 300 millions d'années, côté carbonifère, dans les forêts de grands arbres qui deviendront plus tard nos bassins houillers. Dans ces arbres, les insectes acquièrent d'abord la capacité de planer sur quatre ailes rigides, puis celle de les faire battre pour générer de la poussée, selon le mathématicien britannique James Lightill, de l'University College de Londres. Préoccupé de biomécanique, ce chercheur a traqué dans la compréhension des systèmes naturels une bonne dose d'inspirations pour ses travaux sur les phénomènes physiques. En partant du principe que le vivant est créatif dans une obsessions d'économie.
Facile à dire. Pas simple à étudier. Pour savoir comment vraiment volent les insectes, les scientifiques ont dû, au cours des dernières décennies, faire passer des ailes d'Orthoptères (ordre de ces vieux planeurs préhistoriques, et auquel appartiennent nos modernes sauterelles) dans des souffleries, afin de mesurer avec précision l'efficacité de leur portance statique et dynamique. Résultat, les grands insectes battent tout bonnement des ailes, en effet. Mais les petits hyménoptères et diptères, eux, à l'instar de la drosophile, doivent jongler mieux que ça avec les lois de l'aérodynamique : leur musculature n'est pas suffisante pour mettre en oeuvre de grandes surfaces portantes. C'est l'oeuf et la plume : si je dépense trop d'énergie à ramer, combien de temps vais-je avancer ? C'est la découverte du vol instable chez les insectes, avec des caméras tournant à 7.000 images par seconde, pour mettre en évidence ces ailes qui se frappent et qui pivotent en permanence sur leur axe, pour offrir le meilleur profil au mouvement.
Pour la compréhension de la portance chez les mêmes oiseaux, ce fut plus difficile. Ce n'est qu'à la fin des années 80 qu'une équipe déchiffra enfin le mouvement qu'effectue le pigeon lors de son vol, afin de réduire la portance lors du mouvement vers le haut de ses ailes, et de l'augmenter lors de la poussée vers le bas. Les tourbillons complexes et utiles générés par ce geste ont été analysés en visualisant le sillage de l'oiseau par des bulles d'hélium.
Dans un tout autre chapitre, les chercheurs se sont facilement aperçus, en comparant les grands nageurs entre eux, que le meilleur profil pour générer de la poussée chez les animaux marins était la nageoire en forme de croissant. Comme chez le thon ou le requin. Surprise, on retrouve la même forme chez le martinet, ou l'hirondelle, oiseaux de sprint.
Pour la compréhension de la portance chez les mêmes oiseaux, ce fut plus difficile, rapporta le mathématicien britannique.
Agréable et stérile jeu de savants, la biomécanique ? Alors que penser de la manière dont on cerne aujourd'hui le mouvement des cellules sanguines à l'approche des ramifications artérielles (les globules passent plus vite dans les étranglements que le plasma), ou de la façon dont on suit la répartition de la pression en fonction de l'effort du coeur ? On s'aperçoit aussi qu'une aorte en bonne santé et de bonne facture mesure le quart de la longueur d'onde de la composante fondamentale de la circulation du sang à cet endroit. Ce qui arrange, comme par hasard, bien des problèmes de plomberie.
Etudiée notamment par une équipe de l'Imperial College de Londres, (dont sir Lighthill et le Pr Caro) la circulation artérielle s'est toutefois révélée rétive aux simplifications. Mais les travaux mathématiques dans ce domaine ont permis de trouver un lien entre la diminution de la vitesse du sang sur certains sites des parois artérielles, et l'apparition d'artériosclérose.
A une autre échelle, celle de l'infiniment réduit, les mécaniciens du vivant se sont aussi attachés à comprendre comment se meuvent les germes. Bon nombre de bactéries disposent par exemple de flagelles, petits fouets qui leur permettent de se mouvoir. Une orgie d'innovations. Certains microbes, comme Ochromonas, sont remorqués par un tel bidule qui les tire en avant. D'autres sont munis de flagelles velus, qu'il s'agit simplement d'agiter alternativement (ondulation), mais la plupart doivent délivrer à leurs appendices lisses un mouvement en forme d'hélice. Comme l'énergie disponible à bord d'une bactérie est plutôt rare et précieuse, les mouvements, crée par des moteurs moléculaires, sont rentabilisés à l'extrême. La forme de chaque flagelle devient alors une démonstration. La courbure de ces "nageoires, chez Euglena est parfaitement conforme à l'idéal. Sans cela, le mouvement de de flexion ferait tourner la bactérie sur elle-même. Mais grâce à cette courbure, la rotation est évitée, et l'efficacité de la propulsion augmentée par un autre effet d'hélice, note James Lighthill.
Le vol du pigeon (avec son mouvement de fouet), la nage du requin ou la ruée des bactéries : dans un cas comme dans l'autre, la sélection évolutive des formes et des gestes a créé une diversité de compromis entre les lois de la nature et la mécanique du vivant. Comme si la perfection était inscrite quelque part dans le geste, à partir du moment où il est à la fois "bio" et mécanique. Reste à savoir lire et déchiffrer le travail de création réalisé par le vivant. Pour les chercheurs, il s'agira bien souvent de sortir du strict cadre de leurs disciplines, pour s'aventurer aux frontières troublantes de plusieurs territoires : biologie, anatomie, physique, mathématiques.
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