Il y a des mots qui ouvrent le ciel et la terre. "Se laisser traverser par la vie" fait partie de ces expressions qui sont capables de surgir dans mes rêves et de me tirer du sommeil pour une douce méditation. "Traversé par la vie" est encore venu s'emparer de moi l'autre soir comme une amie comédienne interprétait sur scène, offerte et fragile, troublante comme un reflet. Les bras écartés, elle jouait. Et j'entendais sa voix venir de la petite fille qu'elle fut, sans digue aucune. Elle se livrait à nous. La comedia lui permettait de tomber le masque.
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Comment peindre cela ? C'est assez voisin de "lâcher prise", le jeu auquel on se livre, gamins, pendant les heures de piscine. On lâche le carrelage du bord. On se laisse sombrer. L'eau se referme sur soi. On retient son souffle. On ouvre les yeux, dans le bleu de l'eau où les lumières lointaines font des mirages, et les sons des bulles assourdies. On attend. Que se passerait-il si on se laissait encore plus aller ? Si l'on demeurait sur cette planète-là ? Jusqu'où l'exercice est-il doux ? Et quand surgit la douleur ? Est-ce vraiment de la douleur ? Et si l'on quittait la scène de sa propre vie ? Les autres seraient-ils tristes ? Plus d'air. Je remonte.
Ces jeux d'enfant sont lointains, mais leurs résultats sont en nous. La force qui résulte de la réponse que nous leur avons fabriquée. La faiblesse, aussi, car cette fragilité nous remet sans fin entre nos propres mains. Je veux vous raconter que le "traversé par la vie" m'est revenue aussi, l'autre jour, comme je recevais des Editions Odile Jacob le guide de Pascale This.
Pascale est l'épouse d'Hervé, un camarade scientifique et gastronome dont j'ai déjà vanté la tendre et brillante folie ici, et sur lequel je reviendrai, dès qu'une envie de salé/sucré me reprendra. Pascale c'est différent. Endocrinologue, gynécologue, elle a participé à la mise sur pied en milieu hospitalier d'un "centre de la femme". Je vais restreindre mes éloges, car vous n'y croiriez pas, tant cette femme a consacré sa vie à son labeur et à son exigence d'être utile. Son bouquin : "Le guide de la femme de 40 ans" annonce ce qu'il va explorer : "les bons choix, les traitements". Mais en le feuilletant (Le Guide de la Femme après 40 ans. Dr Pascale This. Odile Jacob. 27e.), avec ma maladie de tout explorer, savez-vous ce que j'ai pris en ma pleine figure de mâle quadra ?
Un "traversé par la vie". Oui : la fragilité muette avec laquelle les femmes traversent les années.
On ici et là parlé des ces histoire d'hormones, d'effets secondaires des traitements de substitution. "Comment lire cette phrase parue dans un quotidien : "le risque de cancer du sein augmente de 30 % sous traitement hormonal de la ménopause", ? Faut-il en conclure qu'il passe de 12 % (moyenne nationale) à 30 % , ou pire encore, à 42 %", demande Pascale. A quoi servent des chiffres incompréhensibles ou trompeurs ?
Je me suis soudain souvenu que j'avais, il y a quelques années, passé des jours dans un service de cancérologie. J'étais ressorti de là pantois. Tant de courage, mais aussi de si épais et maladroits silences. J'ai vu de jeunes médecins trembler bien davantage que l'ombre féminine à laquelle ils portaient la mauvaise nouvelle sans regarder les yeux. Esquiver les question avec toute la mauvaise foi de la panoplie technique et médicale, puis tourner les talons.
Ce qui m'a frappé, dans ce livre, c'est que Pascale prend les deux voies/voix : celle de la femme qui interroge, et celle (le médecin) qui tente de répondre, en science et conscience. Sans nier le danger ni se protéger. Une femme qui parle aux femmes. Pourquoi n'est cela pas la norme ? Peur de se répandre ? Peur de montrer sa propre fragilité ? Peur de soi ?
Ce que je voulais ajouter, en un autre boomerang, c'est cette autre petite anecdote vécue : "jeune" journaliste on m'a un jour commandé une enquète sur la médecine de l'andropause. Et me voici, blouse blanche et stetoscope dans la poche, camouflé en stagiaire, dans la consultation d'un grand ponte de "zizilogie", bronzé, sourire impec, obscène gourmette en or au poignet.
En regardant ces messieurs inquiets des signes de leur impuissance, paniqués de ce que cette mollesse disait de leur âge, et qui venaient là se faire implanter tuteurs, systèmes de gonflage ou petits robinets, j'ai senti, là encore, combien on refoulait le "laisser traverser par la vie".
Lui non plus, docteur zizi, ne rassurait personne. Il ne les entendait même plus, à force de se protéger, qui disaient, entre leurs mots : "dites, docteur c'est déjà la fin ? Si je ne puis plus faire du bien aux femmes, c'est que je suis sur la grande pente ?" Non. Rien. Lorsqu'il les sentait trop inquiets, il leur faisait une piqûre dans la verge, et les envoyait distiller leur raideur devant un film cochon, dans la petite salle aménagée à cet effet.
Au nom de toute ces prétextes de pudeur, on finit seuls. "Entre les murs". Traversons les.
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