Ce soir, avec un groupe de camarades, nous avons traversé le musée Dupuytren, de l'Ecole de médecine, à Paris. Quel décor ! Des jolies boiseries et des grimoires. Des étagères. Des bocaux. Et tapis derrières les étiquettes inscrites à la plume vers 1850, des "monstres". Des créatures difformes alignées par familles : becs de lièvres, crânes bourgeonnants, cerveaux ramollis, tumeurs, pour apprendre au médecins à mieux reconnaitre nos pathologies. La différence, l'exception, au coeur de la médecine comparative. Les femmes enceintes de notre groupe ont fait demi-tour.
Depuis "Elephant Man", la différence ne me fait plus peur. Vacciné. Rassuré de cette fragilité. Ce qui m'horrifie, c'est que l'on s'émeuve de la "laideur" et que l'on admire la beauté avec cette béatitude manipulée.
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Ce qui m'a arrêté, c'est le cyclope.
L'oeil ouvert, l'air ravi, le petit gnome joyeux nous fixait.
L'holoproencéphalie existe à des degrés divers et résulte en une séparation incomplète entre les deux hémisphères du cerveau et entre les deux yeux. Peu viable. Retard mental. Une sur 20.000 naissances, à l'époque où le dépistage prénatal n'existait pas.
Dans son bocal,le cyclope blanc n'avait rien d'une horreur. Il était un impossible. Une tentative d'autre humain. Voie sans issue. "C'est un mystère, disait notre guide, 80 % des enfants viennent au monde avec une malformation mineure, presque toujours rectifiable... Mais la plupart d'entre nous, pour une raison ou une autre, auraient leur place sur ces étagères" Je me suis dit que nous n'avions pas fini d'évoluer. Que j'étais curieux de connaitre la tête de l'humain des années 40.000. Ressemblera-t-il à Hal, dans 2001 l'Odyssée de l'espace ?
"O Cyclope, Cyclope ! où tes esprits s'en vont-ils ? Si tu tressais des corbeilles et coupais du feuillage pour tes jeunes brebis, peut-être ton intelligence n'en irait-elle que mieux. Jouis des biens présents ; pourquoi poursuivre ce qui te fuit ? Tu trouveras une autre Galatée, et même plus belle. Plusieurs belles jeunes filles m'excitent à jouer avec elles [pour la nuit], et rient aux éclats quand je les écoute. Je suis donc aussi quelque chose sur la terre ! (72-79)"
(Galatée et le Cyclope, Théocrite de Syracuse)
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