Manières de dire (et de non-dire) de la Conférence de Presse (janvier 08)
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Larges extraits d’un article de Libération. Analyses de Jean Véronis (Moi je, je vœux) et deGambette, réflexions et sensations personnelles.
Le contradicteur imaginaire
Pour défendre son point de vue, Sarkozy s’invente des contradicteurs. «Les mêmes» qui critiquaient en juillet sa politique pour le pouvoir d’achat le presseraient aujourd’hui «d’en faire plus». Ces mêmes adversaires auraient poussé l’inconséquence jusqu’à lui demander d’annuler ses voyages en Afghanistan et en Algérie. Et ce sont toujours «les mêmes» qui lui conseilleraient de ne pas réformer le G8 «parce que c’est trop compliqué».
Plus largement, il utilise volontiers le « on », se mettant en scène, interpellé selon le cas et le besoin par une voix minable, céleste (je n’ai pas dit divine) ou intérieure : « on me dit que »
Le poids de la question sur l’interlocuteur
Dans cet exercice de janvier (la conférence de presse) fort ritualisé (les règles dites et non-dites sont très présentes : attendre son tour, ne pas braquer le Président et ses gens de com sous peine de se voir écarté dans le futur, ne pas se ridiculiser devant ses confrères, ne pas pousser le bouchon trop loin car c’est celui qui fait les réponses qui choisit de répondre ou non…) on ne peut poser qu’une question à la fois. On s’expose donc. C’est à mes oreilles ce qui explique la « timidité » des attaques et le fait qu’aucun journaliste ne reprenne la question de ces prédécesseurs.
Note
C’est un travers de l’interview publique bien connue des journalistes. Il y a (en gros) quatre interlocuteurs difficiles à questionner :
Le malin/séducteur (la séduction inhibe) (PPDA face à Ségolène Royal)
Le comique (Bedos) (les mots sont une arme et le ridicule tue)
La brute (Bernard Tapie) (rapport de forces physique)
Le puissant (patron, politique, savant) (risque de déplaire et infantilisation inconsciente)
Ajoutons à cela que le jeu personnel des journalistes et les relations complexes qui les lient à leur interlocuteurs rendent toute action « collective » ou même solidaire de leur part (approfondissement d’un sujet) impossible.
Conflit (accentuation du rapport de forces)
Pour accentuer l’effet, « le Président attaque bille en tête en appelant les journalistes par leur nom, conflictualisant immédiatement le rapport » (les règles mentionnées plus haut s’appliquent, puisque je vous connais). « Familier certes, mais dépréciatif, voire menaçant. Exemples : «Mais, M. X, expliquez aux Français quelle est la situation aujourd’hui» ou «Mme Y, expliquez-nous votre stratégie».
Dépréciation
Surfant sur l’image médiocre des journalistes dans l’opinion, il joue carrément le contre. Exemple : si on l’interroge sur la publicité autour de sa vie privée, il les accuse de couvrir ses affaires de cœur pour faire vendre leurs journaux. Et les taxe de «populisme» quand ils lui parlent de son augmentation de salaire. »
Le défi
«Je mets au défi quiconque…» Cette arme-là permet à Sarkozy de renverser la charge de la preuve et vise à impressionner l’adversaire. «Je mets au défi quiconque de trouver le mot de "collaborateur" dans une seule de mes déclarations.» Le mot en question a été publié le 22 août 2007, dans le quotidien Sud Ouest. Le Président, tout juste rentré de ses vacances à Wolfeboro, effectuait un tour d’horizon de l’actualité devant la presse régionale. «Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi», rappelle-t-il à toutes fins utiles, écrit l’éditorialiste de Sud Ouest.
Télescopage du verbe (alternance du rapport de forces et de la séduction, utilisation du raccourci sémantique et affectif pour forcer l'adhésion)
Tantôt, gonflé de l’importance des mots (écrits): «la politique de civilisation». Tantôt, one-man show. Collectionnant les fameuses "Sarkoziades" («A force de reculer, on va finir par arriver à notre point de départ»), la familiarité de pensée («Président de la République, c’est pas un boulot pour un inquiet», ou la phrase naturelle «avec Carla, c’est du sérieux») et les saillies destinées à mettre les rieurs de son côté. «Alors comme ça, je suis le fils illégitime de Jacques Chirac qui m’a mis sur le trône !» réplique-t-il à Laurent Joffrin qui l'interroge sur une forme de «monarchie élective».
Note
Il eut été possible de recadrer le propos, ou même de rappeler à cette occasion, je cite :
« … la monarchie n’est pas forcément héréditaire. C’est d’ailleurs le cas des débuts de la monarchie française : le roi, élu par ses “pairs” (les barons) n’était que le “primus inter pares”, le “premier des pairs” (une définition un peu orwellienne, bien que latine). D’où l’histoire que nous avons apprise à l’école de ce comte indiscipliné qui, s’étant fait tancer d’importance par le roi élu Hugues Capet (”Qui t’a fait comte ?”), lui avait rétorqué : “Qui t’a fait roi ?” Avant d’accéder au trône de France par hérédité, le monarque ne fut d’abord que le roi des comtes. »
Esquive et renversement sémantique
De la question posée, le chef de l’Etat retient ce qu’il veut. Assuré d’avoir le dernier mot (le cadre de la conférence de presse, les règles non dites) il n’hésite pas à répondre à côté. Interrogé sur la chute de sa popularité, il plaisante : «J’ai fait 53 % à l’élection présidentielle. Et on ne m’aime pas. Qu’est-ce que ça aurait été si on m’avait aimé.» Sur Kadhafi, il moque le «charivari un peu ridicule» sur sa venue. «Quand je vois comment il a été reçu en Espagne, par le roi d’Espagne et par le Premier ministre socialiste, je dis qu’elle doit bien mal se porter l’Internationale socialiste», attaque-t-il. Et quand on l’interroge sur les sans-papiers «traités comme des criminels», il s’indigne contre le terme utilisé par la jounaliste «insultant pour ces malheureux».
Moi, je
«Je veux agir, je veux obtenir des résultats, je veux changer le pays […]. Je ne mentirai pas, je ne truque pas, je ne triche pas», «à la tribune des Nations Unies j’ai appelé le monde à un New Deal»… Sans compter les multiples «je veux», «j’assume» et autres «je mettrai tout en œuvre». Il n’utilise le «nous» que lorsque les problèmes sont complexes, à propos du rôle de la Caisse des dépôts ou de la conjoncture par exemple. Et avant ce président «moi je», qu’y avait-il ? Pas grand-chose : «Jamais plus on ne fera un gouvernement comme on en faisait autrefois», se félicite-t-il. »
(sur ce point, voir les réflexions détaillées de Véronis)
Commentaire personnel
Ces méthodes et manières ne sont pas propres à Président S. Cependant son discours est construit de telle façon qu’elles deviennent particulièrement lisibles. Ma thèse « sensible » (et littéraire) est que cela tient vient du fait que profondément, il se trouve en débat permanent avec lui-même. Cette manière de parler reflète son soliloque intérieur, sa manière de bâtir sa réflexion : par raccourcis de pensées. Les mots qui cognent sont pour lui des pensées efficaces, et par là justes. Autour de ce noyau central, l’affect, la culture, l’époque sont pour lui des instruments de séduction. Il désire en outre être aimé. Cela construit une forme (un semblant ?) d’efficacité mais ne cesse d’alimenter mes craintes. Qui va devenir Président S dans les prochains mois, à nos yeux. La pièce s’écrit chaque jour et la fin n’est pas connue…
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