26.5.08

Mars cinéma et poussières



Mars : nouveau coin polaire

Premières transmissions de la sonde martienne polaire Phoenix
Image JPL-Nasa, fausses couleurs
un plaisantin dirait que l'on distingue un crâne, vers le bas à gauche... Non ? (allusion à la très amusante affaire de Mars face, dans les années 70 et 80)

This image shows a polygonal pattern in the ground near NASA's Phoenix Mars Lander, similar in appearance to icy ground in the arctic regions of Earth.
Phoenix touched down on the Red Planet at 4:53 p.m. Pacific Time (7:53 Eastern Time), May 25, 2008, in an arctic region called Vastitas Borealis, at 68 degrees north latitude, 234 degrees east longitude.
This is an approximate-color image taken shortly after landing by the spacecraft's Surface Stereo Imager, inferred from two color filters, a violet, 450-nanometer filter and an infrared, 750-nanometer filter.
The Phoenix Mission is led by the University of Arizona, Tucson, on behalf of NASA. Project management of the mission is by NASA's Jet Propulsion Laboratory, Pasadena, Calif. Spacecraft development is by Lockheed Martin Space Systems, Denver.

J'ai un faible pour ces tourbillons de poussières filmés par le rover Spirit (je crois)



Et le délicieux souvenir de l'illusion scientifique des "canaux", source du mythe des hommes "verts" :



voir l'affaires des canaux martiens (Schiparelli et Lowell)


Et bien sur les Choniques martiennes (Ray Bradbury)
Avant de s’engager dans les collines bleues, Tomas Gomez s’arrêta pour se ravitailler en essence à la station isolée.
“ Vous vous sentez pas un peu seul dans le coin, papy ? ”
Le vieil homme donna un coup de chiffon au pare-brise de la camionnette. “ pas d’trop.
- Comment vous trouvez Mars, papy ?
- Très bien. Toujours du neuf. Quand je suis venu ici, l’année dernière, j’étais décidé à ne rien attendre, ne rien demander, ne m’étonner de rien. Il faut qu’on oublie la Terre et comment c’était là-bas. Il faut regarder ce qu’on a ici, et à quel point c’est différent. Je m’amuse comme un petit fou rien qu’avec la météo. Une météo vraiment martienne. Une chaleur de tous les diables le jour, un froid de tous les diables la nuit. Je me régale avec les fleurs, différentes, et la pluie, différente elle aussi. Je suis venu sur Mars pour y prendre ma retraite, et pour ça, la retraite, je voulais du changement. Les vieux ont besoin de changement. Les jeunes n’ont pas envie de leur causer, les autres vieux les ennuient à mort. Alors je me suis dit que le mieux pour moi, c’était un endroit tellement différent qu’il n’y aurait qu’à ouvrir les yeux pour avoir de la distraction. J’ai cette station-service. Si les affaires s’emballent, j’irai me réinstaller sur une vieille route moins fréquentée où je pourrai gagner juste de quoi vivre et continuer d’avoir le temps de profiter de tout ce qu’il y a de différent ici.
- Vous avez bien raison, papy ”, dit Tomas, ses mains basanées négligemment posées sur le volant. Il se sentait bien. Il venait de travailler dix jours d’affilée à l’une des nouvelles colonies et saisissait à présent l’occasion de deux jours de congé pour se rendre à une petite fête.
“ Plus rien ne me surprend, dit le vieil homme. Je me contente de regarder. De ressentir. Si on n’est pas capable d’accepter Mars comme elle est, autant retourner sur la Terre. Tout est fou ici, le sol, l’air, les canaux, les indigènes (j’en ai encore jamais vu, mais il paraît qu’il y en a encore dans les environs), les horloges. Même celle que j’ai se comporte bizarrement. Même le temps est fou ici. Des fois, j’ai l’impression d’être tout seul ici, sans personne d’autre sur toute cette fichue planète. J’en mettrais ma main à couper. Des fois, j’ai l’impression d’avoir huit ans, d’avoir rapetissé et de tout trouver grand. Bon sang, c’est l’endroit rêvé pour un vieux. Ici, je suis toujours gaillard et content. Vous savez ce qu’est Mars ? C’est comme un truc que j’ai eu à Noël il y a de ça soixante-dix ans - j’sais pas si vous en avez jamais eu un - on appelait ça un kaléidoscope, des cristaux, des morceaux de tissus, des perles et de la verroterie. On tournait ça vers le jour, on regardait dedans et c’était à couper le souffle. Tous ces motifs ! Eh bien, c’est Mars. Profitez-en. Ne lui demandez rien d’autre que ce qu’elle est. Bon sang, vous savez que cette route, là, a été construite par les Martiens il y a plus d’une quinzaine de siècles et qu’elle est toujours en bon état ? Ca fait un dollar cinquante, merci et bonne nuit. ”
Tomas reprit la vieille route avec un petit rire de gorge.

Il avait un long trajet à faire dans les collines et l’obscurité, et il ne lâchait pas le volant, sauf de temps en temps, pour prendre une sucrerie dans malette-repas. Il roulait depuis une heure ; pas une seule voiture ni la moindre lumière à l’horizon, rien que la route qui s’engouffrait sous le capot, le ronronnement du moteur, et Mars dehors, si calme. Mars était toujours calme, mais plus particulièrement cette nuit-là. Les déserts et les mers vides défilaient sur les côtés, et les montagnes de même, sur fond de ciel étoilé.
Il y avait dans l’air comme un odeur de Temps. Il sourit et retourna cette drôle d’idée dans sa tête. Il y avait là quelque chose à creuser. A quoi pouvait bien ressembler l’odeur du Temps ? A celle de la poussière, des horloges et des gens. Et si on se demandait quel sorte de bruit faisait le Temps, ce ne pouvait qu’être celui de l’eau ruisselant dans une grotte obscure, des pleurs, de la terre tombant sur des couvercles de boîtes aux échos caverneux, de la pluie. Et en allant plus loin, quel aspect présentait le Temps ? Le Temps était de la neige en train de tomber silencieusement dans une pièce plongée dans le noir, ou un film muet dans un cinéma d’autrefois, des milliards de visages dégringolant comme ces ballons du Nouvel An, sombrant, s’abîmant dans le néant. Tels étaient l’odeur, le bruit et l’aspect du Temps. Et ce soir - Tomas plongea une main dans le vent à l’extérieur de la camionnette - ce soir, on pouvait presque toucher le Temps.
Il roulait entre des collines de Temps. Il en éprouva des picotements sur la nuque et se carra dans son siège, fixant son regard sur la route.
Il s’arrêta en plein milieu d’une bourgade morte, coupa le moteur et s’abandonna au silence environnant. Retenant sa respiration, il regardait les constructions blanches dans le clair de lune. Inhabitées depuis des siècles. Parfaites, sans défaut, en ruine, certes, mais néanmoins parfaites.
Il remit le moteur en marche et fit encore deux ou trois kilomètres avant de s’arrêter de nouveau. Sa malette-repas à la main, il mit pied à terre et grimpa sur un petit promontoire d'où l’on dominait la cité poudreuse. Il ouvrit son thermos et se versa une tasse de café. Un oiseau de nuit passa. Tomas était pénétré d’un profond sentiment de bien-être et de paix.
Peut-être cinq minutes plus tard, il entendit un bruit. Là-bas, dans les collines, là où la vieille route s’incurvait, il perçut un mouvement, une faible lueur, puis un murmure.
Il pivota lentement sans lâcher sa tasse.
Et une étrange chose sortit des collines.
C’était une machine pareille à un insecte vert jade, à une mante religieuse, qui filait en douceur dans l’air froid, indistincte, constellées de diamants vert clignotants et de rubis qui scintillaient comme autant d’yeux à facettes. Ses six pattes se posèrent sur la vieille route avec un bruit d’ondée qui se calme progressivement, et de l’arrière de la machine un Martien aux yeux d’or fondu regarda Tomas comme s’il se penchait au-dessus d’un puits.
Tomas leva la main et pensa automatiquement : “ Salut ! ” mais sans remuer les lèvres, car c’était là un Martien. Mais Tomas s’était baigné dans rivières bleues sur la Terre, le long des routes où passaient des étrangers, s’était restauré dans des maisons inconnues en compagnie d’inconnus, et sa seule arme avait toujours été son sourire. Il ne portait pas de pistolet. Et n’en éprouvait pas le besoin en cet instant, même avec la légère angoisse qui lui pinçait le cœur.
Le Martien avait lui aussi les mains vides. Ils se dévisagèrent un certain temps dans l’air frisquet.
Ce fut Tomas qui fit le premier mouvement.
“ Salut ! lança-t-il.
- Salut ! ” lança le Martien dans sa propre langue.
Ils ne se comprirent point.
“ Vous avez dit salut ? demandèrent-ils en même temps.
- Qu’est-ce que vous avez dit ? ” firent-ils, chacun dans une langue différente.
Ils se renfrognèrent.
“ Qui êtes-vous ? interrogea Tomas dans sa langue.
- Qu’est-ce que vous faites ici ? ” En martien ; les lèvres de l’étranger bougeaient.
“ Où allez-vous ? ” demandèrent-ils ensemble. Et ils parurent tout désorientés.
“ Je m’appelle Tomas Gomez.
- Je m’appelle Muhe Ca. ”
Ni l’un ni l’autre ne comprit, mais ils avaient accompagné leurs paroles d’une petite tape sur leur poitrine et tout devint clair.
Alors le Martien éclata de rire. “ Attendez ! ” Tomas eut l’impression qu’on lui touchait la tête, mais nulle main ne l’avait touché. “ Là ! dit le Martien dans la langue de Tomas. C’est mieux comme ça !
- Avec quelle vitesse vous avez appris ma langue !
- Un jeu d’enfant ! ”
Gênés par un nouveau silence, ils regardèrent le café qui n’avait pas quitté la main de Tomas.
“ Nouveau ? ” dit le martien en lorgnant Tomas et le café – et en se référant peut-être aux deux.
“ Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? proposa Tomas.
- Volontiers. ”
Le Martien glissa à bas de sa machine.
Une deuxième tasse fut produite et remplie de café fumant. Tomas la tendit.
Leurs mains se rencontrèrent et – comme de la brume – se traversèrent.
“ Bon sang ! ” s’écria Tomas. Et il lâcha la tasse.
“ Par tous les dieux ! s’exclama le Martien dans sa propre langue.
- Vous avez vu ça ? ” murmurèrent-ils ensemble.
Ils étaient soudain glacés de terreur.
Le martien se baissa pour toucher la tasse mais n’y parvint pas.
“ Sapristi ! fit Tomas.
- C’est le mot. ” Le Martien essaya encore et encore de saisir la tasse. Peine perdue. Il se redressa, réfléchit un moment, puis tira un couteau de sa ceinture.
“ Hé là ! ” cria Tomas.
- Vous vous méprenez, attrapez ! ” Et le Martien lui lança le couteau. Tomas mit ses mains en coupe. Le couteau tomba à travers la chair et heurta le sol. Tomas se baissa pour le ramasser, mais il ne parvint pas à le toucher. Il recula, parcouru de frissons.
Il regarda alors le Martien qui se découpait sur le ciel.
“ Les étoiles ! dit-il.
- Les étoiles ! ” dit le Martien en regardant Tomas à son tour.
Les étoiles étaient visibles, nettes et blanches, à travers la chair du Martien, dans laquelle elles semblaient cousues telles des paillettes en suspension dans la fine membrane phosphorescente de quelque créature marine gélatineuse. On les voyait scintiller comme des yeux violets dans le ventre et la poitrine du Martien et comme des bijoux à travers ses poignets.
“ Je vois à travers vous ! dit Tomas.
- Et moi à travers vous ! ” dit le Martien en reculant d’un pas.
Tomas tâta son propre corps et, percevant sa chaleur, se sentit rassuré. Je suis bien réel, se dit-il.
Le Martien se toucha le nez et les lèvres. “ Je sens ma chair, dit-il presque à haute voix. Je suis vivant. ”
Tomas regarda fixement l’étranger. “ Et si je suis réel, c’est que vous devez être mort.
- Non, vous !
- Un spectre !
- Un fantôme ! ”
Ils se désignèrent mutuellement du doigt, la lumière des étoiles constellant leurs membres comme autant de dagues, de glaçons et de lucioles. Puis ils se remirent à examiner leur corps, et chacun de se trouver intact, brûlant, en émoi, stupéfait, intimidé, alors que l’autre – ah oui, cet autre, là – était dépourvu de réalité, ne pouvait être qu’un prisme fantomatique réfléchissant la lumière accumulée de mondes lointains.
Je suis ivre, se dit Tomas. Ne surtout pas parler de tout ça à quelqu’un demain, oh, non !
Ils se tenaient sur la vieille route, aussi immobiles l’un que l’autre.
“ D’où venez-vous ? demanda enfin le Martien.
- De la Terre.
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
- C’est là-bas, précisa Tomas avec un mouvement de tête vers le ciel.
- Quand ?
- On a débarqué ici il y a un peu plus d’un an, vous vous souvenez ?
- Non.
- Et vous étiez tous morts, à quelques exceptions près. Vous êtes devenus une rareté, vous ne savez pas ça ?
- Ce n’est pas vrai.
- Si, morts. J’ai vu les corps. Tout noirs, dans les pièces, dans les maisons, morts. Par milliers.
- C’est ridicule. Nous sommes vivants !
- Vous vous êtes fait envahir, mon vieux, seulement vous l’ignorez. Vous devez être un rescapé.
- Je ne suis pas un rescapé ; rescapé de quoi, d’abord ? Là, je vais à un festival sur le canal, près des monts Eniall. J’y étais hier soir. Vous ne voyez pas la cité là-bas ? ” Le Martien la désigna du doigt.
Tomas regarda et ne vit que les ruines. “ Allons, cette ville est morte depuis des milliers d’années. ”
Le Martien s’esclaffa. “ Morte. J’y ai dormi hier !
- Et moi j’y suis passé la semaine dernière et la semaine d’avant, et je viens juste de la traverser, et c’est un tas de ruines. Vous voyez ces colonnes brisées ?
- Brisées ? Enfin, je les vois très bien. Surtout avec le clair de lune. Et ces colonnes sont debout.
- Les rues sont pleines de poussière.
- Les rues sont propres !
- Les canaux sont à sec.
- Les canaux sont pleins de vin de lavande !
- Tout ça est mort.
- Tout ça est vivant ! protesta le Martien en riant de plus belle. Vous vous trompez complètement. Vous ne voyez pas toutes ces lumières de carnaval ? Il y a de superbes bateaux sveltes comme des femmes, de superbes femmes sveltes comme des bateaux, des femmes couleur de sable, des femmes avec des fleurs de feu dans les mains. Je les vois d’ici, toutes petites, en train de courir dans les rues.
“ C’est là que je me rends ce soir, au festival ; on va passer toute la nuit sur l’eau ; on va chanter, on va boire, on va faire l’amour. Vous ne voyez pas ?
- Cette ville est aussi morte qu’un lézard desséché, mon vieux. Demandez à n’importe lequel d’entre nous. Moi, ce soir, je vais à Verteville ; c’est la nouvelle colonie qu’on vient juste de bâtir là-bas, près de la route de l’Illinois. Vous vous emmêlez les pédales. On a importé quelque trois cent kilomètres de planches de l’Oregon, deux douzaine de tonnes de bons clous d’acier, et construit avec ça deux des plus jolis villages qu’on ait jamais vus. Ce soir on en inaugure un. Deux fusées viennent d’arriver de la Terre avec nos femmes et nos petites amies. On va danser la gigue, boire du whisky… ”
Le Martien avait perdu de son aplomb. “ Là-bas, dites-vous ?
- Tenez, voilà les fusées. ” Tomas l’emmena au bord du surplomb rocheux et désigna la vallée du doigt. Vous voyez ?
- Non.
- Bon Dieu, elles sont pourtant là ! Ces longues formes argentés.
- Non. ”
Ce fut au tour de Tomas de s’esclaffer. “ Vous êtes aveugle !
- Je vois très bien. C’est vous qui ne voyez pas.
- Mais vous voyez la nouvelle ville, non ?
- Je ne vois qu’un océan et des eaux à marée basse.
- Il y a quarante siècles que ces eaux se sont évaporées, mon vieux.
- Bon, maintenant, ça suffit !
- C’est la vérité, je vous le garantis. ”
Le martien prit un air extrêmement sérieux. “ Redites-moi ça. Vous ne voyez pas la cité telle que je la décris ? Les colonnes si blanches, les bateaux si sveltes, les lumières du festival… oh, moi, je les vois très bien ! Et prêtez l’oreille ! J’entends des gens chanter. C’est là, tout près. ”
Tomas écouta et secoua la tête. “ Non.
- Et de mon côté, reprit le Martien, je ne vois pas ce que vous décrivez. Nous voilà bien. ”
Une fois de plus, ils étaient transis. Leur chair se transformait en glace.
“ Se pourrait-il… ?
- Quoi ?
- Vous dites “ du ciel ” ?
- De la Terre.
- La Terre, un nom, rien. Mais… en arrivant au sommet du col tout à l’heure… ” Il se toucha la nuque. “ J’ai eu une impression de …
- Froid ?
- Oui.
- Et maintenant ?
- Ca recommence. Une sensation bizarre. Il y avait je ne sais quoi dans la lumière, les collines, la route. Quelque chose d’étrange que j’ai ressenti, la route, la lumière, et j’ai eu un instant l’impression d’être le dernier homme vivant en ce monde…
- Moi aussi ! ” s’écria Tomas, qui aurait soudain pu se croire en train de parler à un vieil ami, de se confier, de se laisser emporter dans le feu de la conversation.
Le Martien ferma les yeux et les rouvrit. “ Je ne vois qu’une seule explication. Ca a à voir avec le Temps. Oui. Vous êtes une vision du Passé !
- Non, c’est vous qui venez du Passé ”, dit le Terrien, qui avait eu le temps de retourner la question dans sa tête.
“ Vous êtes bien sûr de vous. Comment pouvez-vous prouver qui vient du Passé, qui vient du Futur ? En quelle année sommes-nous ?
- En 2033 !
- Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? ”
Tomas réfléchit et haussa les épaules. “ Rien.
- C’est comme si je vous disais que l’on est en 4 462 853 S.E.C. Ce n’est rien et ce n’est pas rien ! Où est l’horloge qui va nous montrer quelle est la position des étoiles ?
- Mais les ruines le prouvent ! Elles prouvent que je représente le futur, que je suis vivant et vous mort !
- Tout en moi affirme le contraire. Mon cœur bat, mon ventre a faim, ma bouche a soif. Non, non, l’un comme l’autre, nous ne sommes ni morts ni vivants. Plutôt vivants, quand même. Plus exactement, entre les deux. Deux étrangers qui passent dans la nuit, voilà tout. Deux étrangers qui passent. Des ruines, dites-vous ?
- Oui. Cela vous fait peur ?
- Qui a envie de voir le Futur, est-ce seulement imaginable ? On peut faire face au passé, mais songer… les colonnes écroulées, dites-vous ? Et la mer vide, les canaux à sec, les jeunes filles mortes, les fleurs flétries ? ” Le Martien se tut, puis il regarda devant lui. “ Mais tout ça est là. Je le vois. N’est-ce pas suffisant pour moi ? Tout ça m’attend, peu importe ce que vous pouvez dire. ”
Tomas, lui, était attendu par les fusées, là-bas, par la ville et les femmes de la Terre. “ Impossible de se mettre d’accord, dit-il.
- Alors soyons d’accord sur notre désaccord. Peu importe qui représente le passé ou le Futur, si nous sommes tous deux vivants, car ce qui doit suivre suivra, demain ou dans dix mille ans. Qu’est-ce qui vous assure que ces temples ne sont pas ceux de votre propre civilisation d’ici une centaine de siècles, en ruine, brisés ? Vous n’en savez rien. Alors ne vous posez pas de questions. Mais la nuit est courte. Voilà les feux du festival qui montent dans le ciel, et les oiseaux. ”
Tomas tendit sa main. Le Martien l’imita.
Leurs mains ne se touchèrent point ; elles s’interpénétrèrent.
“ Nous reverrons-nous ?
- Qui sait ? Peut-être une autre nuit.
- J’aimerais vous accompagner à ce festival.
- Et j’aimerais pouvoir me rendre à votre ville nouvelle, voir ce vaisseau dont vous parlez, voir ces hommes, apprendre tout ce qui s’est passé.
- Au revoir, dit Tomas.
- Bonne nuit. ”
Le Martien réintégra son véhicule de métal vert et s’éloigna en douceur dans les collines. Le Terrien fit faire demi-tour à sa camionnette et prit discrètement la direction opposée.
“ Seigneur Dieu, quel rêve ”, soupira Tomas, les mains sur le volant, songeant aux fusées, aux femmes, au bon whisky artisanal, aux danses de Virginie, à la fête.
Quelle étrange vision, se disait le Martien lancé à toute vitesse, songeant au festival, aux canaux, aux bateaux, aux femmes aux yeux d’or, aux chansons.
La nuit était sombre. Les lunes s’étaient couchées. Les étoiles scintillaient sur la route vide où il n’y avait plus un bruit, plus de voiture, plus personne, plus rien. Et qui demeura ainsi, dans le noir et la froidure, tout le reste de la nuit.




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