A la Fiac, à Paris, certaines oeuvres sont plus interpellantes que d'autres.
Tiens, au hasard d'un exemplaire de ce Figaro feuilleté sur un stand je tombe sur Luc Ferry, en vedette, comme souvent, dans les pages du quotidien de M. Dassault aviation, sous le titre : "Ce "Grenelle" n'a de légitimité ni scientifique ni républicaine". Une torpille destinée au grand-oeuvre de M. Borloo ?
On serait en droit de se demander s'il faut accorder davantage de crédit aux propos de M. Ferry (présenté comme philosophe et ex-ministre), lorsqu'il écrit sur le sujet de l'environnement, que lorsqu'il défend, comme il lui arriva avec un brio halletant, la réputation scientifique des jumeaux Bogdanoff.
A la FIAC, vendredi
Mais bon, passons. Voyonsla chose. Lire cet article s'avère de fait croustillant à point. Sincèrement je vous le recommande, tant on y entend à merveille crisser les délicats rouages de la pensée de l'un de ces philo-bateleurs que le monde entier nous envie (comment font-ils pour se passer de telles intelligences de permanence médiatique, les autres ?)
Contre les limitations excessives (dans le même sac vitesse sur autoroute, et principe de précaution inscrit à la constitution), notre agrégé invoque cet argument définitif : le Grenelle n'est pas une instance composée d'élus, il n'est pas même inscrit à la constitution. Donc, circulez... ses conclusions seront nulles. Heureusement, insiste-t-il, ce sont les élus, les vrais, qui trancheront. Eclairons-les !
Oui, éclairons, car nous serions selon Luc enfermé dans un redoutable piège, un guet-apens tramé par les écologistes radicaux de tous poils. Trois ingérdients se combineraient à nous engluer dans une délétère panique :
- la peur
- les médias (et leurs people dont Luc n'est pas, comme chacun sait...)
- la horde des interdictions qui pèserait désormais sur notre société, principe de précaution en tête.
Vous perdez le fil ? N'ayez nulle crainte : tout est synthétisé dans la chute de la tribune : "Pour l'instant c'est l'alliance de la peur et des médias qui domine. Il faut lui substituer celle de la science et de la République".
Merci Saint Luc ! Pour ma part, je propose une commission composée des docteurs Bogdanoff et de quelques parlementaires de référence, à l'instar des Dassault sénateur et député. Ou que l'on revienne au bon temps des rapports sur le nucléaire en France commis par des ingénieurs de Framatome et soutenus devant les élus accueillant les futures centrales !
Je vois que l'amnésie vous frappe, cher Luc. Ou alors ignorez-vous vraiment tout de l'art délicieux de composer une commision ou un comité afin d'entériner une décision déjà prise dans l'intérêt evidemment commun et supra-individuel ? Faut-il dresser la liste des scientifiques écartés, placardisés ou virés pour "avis divergents" ? Convient-il de commettre l'inventaire des points de vue scientifiques ayant évolué avec le temps ? Celui des polémiques techniques ? Evoquer la mort lente et sournoise des abeilles, étrangement impossible à faire entrer dans les courbes de nos amis chimistes ? D'égréner les tricheries, les artefacts, l'incurie des systèmes, même techniques ou scientifiques ? Sans parler de la corruption ? En revenir au nuage de Tchernobyl, aux turpitudes de Seveso ou de Bhopal ?
Désolé cher Luc l'actualité et les archives sont suffisamment remplies d'exemples de faillites de ce conglomérat académico-legislatif auquel vous en appelez avec tant de candeur pour que nous n'enterrions plus notre vigilance. Navré, hein ? Nous ne laisserons plus les industriels et les planficateurs émoulus de nos excellentes grandes écoles faire leurs petites salades sans y jetter un regard, lui aussi démocratiquement suspicieux...
Cher Luc, nous n'avons pas peur et vous ? Allez donc vous installer au soleil des Antilles... Plus précisément sur ces terres désormais farcies de pesticides et sur lesquelles notre République et nos savants ont si parfaitement veillé ? Nous n'avons pas peur mais nous savons regarder autour de nous. Excuses.
Cher Luc, les médias, pour la plupart entre les mains de grands groupes industriels, ont longtemps été hostiles à la cause de l'environnement, et s'ils ont aujourd'hui basculé, c'est que la situation doit être bien plus qu'alarmante.
Cher Luc les interdits que bricolent les extremistes verts que vous dénoncez ne sont rien en regard de ceux qui résultent du libéralisme outrancier, qu'insidieusement vous défendez. Interdiction de boire l'eau, interdiction de vivre dans les zones contaminées, interdiction de pêcher le poisson contaminé de métal lourd, etc, etc.
C'est que cher Luc, il faut nous comprendre, nous sommes devenus curieux, et si méfiants à écouter nos gamins tousser la nuit depuis toutes ces décennies ou nous aurions pu agir sur les fumées, à apprendre que nos déchets toxiques, après avoir étét déversé dans les Océans, errent désormais en Afrique. Je vous incite d'ailleurs à lire dans le même exemplaire du Figaro, l'éditoral "alarmiste" consacré au Grenelle, où à découvrir l'oeuvre d'Edgar Morin, sur la complexité et l'imperfection des organisations humaines.
Oh, cela ne vous convaincra pas. Ou peut-être n'avez pas envie d'entendre les avis de ceux qui ne tiennent pas les leviers ?
Non, nous n'avons pas peur, Luc.
Nous sommes fatigués que l'on nous abuse au nom de ce progrès en minuscules qui n'appartient qu'aux brasseurs d'affaires.
Pour ce monument philosophique, c'est par ici :
..Figaro..
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2 commentaires:
Avant de partir dans le coeur du débat, deux petits hors-sujets :
- Félicitations pour la jolie succursale qu'est Président.
- Et surtout, parce qu'il est de bon ton de mettre une réclamation au coeur d'un concert de louanges : Est-il possible de n'avoir droit à la publication du billet du lundi qu'après sa diffusion hertzienne (genre l'article programmé à 15h00 le lundi et pas présent sur ce site avant, ça gâche le plaisir de la découverte) ?
- Pauvre Ferry, il n'a jamais été très brillant mais là, il touche effectivement le fond.
En premier lieu, le spectre de la peur, qu'il agite comme un hochet conceptuel, est indigne.
Indigne de quiconque a observé un tant soit peu, la chose politique - et lui l'a pratiquée, même s'il s'est empressé de s'en défendre en commettant sitôt son départ un minuscule opuscule. L'exploitation de la peur est monnaie courante dans ce type d'activité, elle a existé de tout temps et sous toutes formes. Souvent pour révéler à l'humanité sa plus infame médiocrité mais aussi parfois pour soulever les plus nobles élans. La peur est un moteur comme un autre de l'âme humaine dans lequel les plus cyniques se plaisent toujours à verser du carburant, que ce soit pour passer la marche arrière ou la marche avant.
Indigne de qui contemple la société : il cède à cette mode qui consiste actuellement à brandir la menace de hordes d'éco-terroristes tout prêts à déferler bientôt sur nos Champs-Elysées pour les ensencemencer de quelques graines de révoltes sédicieuses. Triste fantasme aussi éculé qu'inexact. S'il est vrai qu'il peut exister des formes dérangeantes de radicalismes verts, elles ne sont définitivement pas françaises et ne le seront probablement jamais car étrangères à nos moeurs et coutumes. Organisées, structurées dans l'environnement et le tissu social anglo-saxon, où le lobbyisme sous forme de coup d'éclat est un passe-temps fort prisé, ces formes de contestations n'existent pour ainsi dire plus en France depuis 20 ans (à l'exception notable de la grande époque d'Act-Up).
Ensuite la prétention à penser que devrait lui conférer son statut de philosophe fait peine à lire, au sens premier et littéral du terme. Quand il écrit "portant sur des périls dont on devrait bien parvenir un jour à mesurer de manière scientifique la réalité et la portée exactes.", il fait preuve d'une coupable absence de vocabulaire. Car un péril ne se mesure pas et aucun scientifique digne de ce nom ne s'aventurera à une telle entreprise. Un péril ou un risque s'estime, s'évalue, en fonction de différents critères (l'importance du dégat engendré, la probabilité d'apparition) et avec une méthodologie. Celle-ci, aussi rigoureuse, soit-elle relève malgré tout de conjectures hasardeuses. C'est l'éternel doigt mouillé qu'on tend vers le ciel pour évaluer la force du vent qui, à un moment ou à un autre, doit-être appelé à la rescousse et peut rendre tout l'édifice intellectuel bancal.
Rendons-lui cependant justice, quand il écrit que le « Grenelle de l'environnement » n'a de légitimité ni scientifique, ni républicaine, car cette observation n'est pas erronée. Il y a peut-être derrière le Grenelle de l'environnement un coup de marketing politique. Voulu par l'éxécutif nouvellement élu, a-t-il pour autant moins de légitimité républicaine que ce pouvoir législatif fraîchement renouvellé et dont l'élection a été déterminée par le résultat du scrutin présidentiel ?
La réponse est non. Il n'est en aucune façon question pour lui d'outre-passer le pouvoir du Parlement dans la décision. Il tire du résultat des urnes la légitimité de sa force de proposition et ne contrecarre pas celle déjà existante de nos assemblées républicaines où chaque élu dispose de son libre-arbitre.
Quant à la légitimité scientifique, à quoi bon l'invoquer après l'inventaire de toutes ces errances d'experts que le maître de ces lieux a inventorié ? A quoi bon la confier, une nouvelle fois, à l'avis consultatif de scientifiques placés là uniquement pour approuver en échange de crédits de recherches et de charges honorifiques ? Les intérêts économiques des uns, la "raison d'état" et la force de persuasion des politiques à ce sujet ont trop souvent été présents par le passé. Aujourd'hui, sur ce qui est, probablement, l'un des seuls sujets où la machine médiatique a fait preuve d'assez d'efforts de vulgarisation scientifique, l'environnement, une initiative, se propose d'être un complément (pas une alternative) où la voix des citoyens peut se faire entendre.
Ne pas lui accorder de crédit et y préférer des circuits aussi éculés que bien mal éprouvés est définitivement une erreur.
Bonjour Labosonic. Merci pour ce long et fort intéressant commentaire. Pour ce qui concerne, la radio, le problème c'est le direct. Lors des premières émissions, j'ai découvert que des centaines d'auditeurs (si, si) étaient venus chercher sur mon site des liens qui n'étaient pas encore postés. C'est la raison pour laquelle je poste désormais avant d'aller à la radio.
Sur Président : écrire, ou du moins publier un travail non achevé (mais déjà développé offline, bien entendu, il ne s'agit pas d'un premier jet, mais d'une première versions "montrable") est une expérience qui me tentait depuis belle lurette. J'ignore ce que cela peut induire chez moi, et encore moins chez les lecteurs.
Sur Ferry : en effet sa proposition de départ est triviale (le Grenelle est ceci ou cela). C'est bien pour cette raison qu'elle ne sert que de prétexte pour avancer des arguments décousus, incohérents, mais qui vont servir de munitions aux forces conservatrices (et fort inquiètes) de notre système economico-politique pour tenter de minimiser, diluer et si possible faire échouer tout changement sur cet axe "environnement". Pourquoi l'environemment ne peut exister qu'à gauche en France ? Car à droite les snippers abattent tous ceux qui, dans leur propore campe, font mine de sérieusement s'y intéresser, me semble-t-il. Ah ce vieux rapport de force français !
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