Le vent soufflait sur nos nuques. C'était un soir de décembre. Un soir déjà sombre, de neige et de pluie mêlées. Mon fils de huit ans sortait de l'école et dans le petit abri que nous faisait notre bavardage, je sentis sa peine.
- J'ai eu une mauvaise note.
- Ah (vous savez, ce ah qui tente de cacher l'enjeu que nous n'arrivons pas à ne pas accorder à l'école)
- En quoi ?
- Les triangles.
Triangle impossible de Penrose et d'Escher
On est entrés au café et on a fait "slurp" avec nos chocolats chauds. Le ventre plein l'aveu est plus facile :
- je n'arrive pas à retenir leurs formes
- Pourquoi ?
- Je sais pas. Ca reste pas, dans ma tête.
Je regardai son cahier. La leçon de calcul égrenait les formes de triangles remarquables et autres : isocèle (2 côtés de même longueur), équilatéral (trois côtés identiques), scalène (trois côtés différents), rectangle (angle droit entre 2 côtés). Le cours était limpide, bien présenté.
- Mais c'est super, les triangles, tu sais ça permet de mesurer des tas de choses, de construire des immeubles, de naviguer sur les mers lointaines... (je m'arrête, car je vois son air ahuri)
- Tu veux dire, ça sert à quelque chose, ça ?
- Oui, comme les notes de musique, comme les nuages dans le ciel, comme à peu près tout ce que tu vois ou ne vois pas. Tout "sert", de différentes manières.
(je m'arrête encore, car j'ai un flash, des triangles qui brillent dans ma tête)
- Mais au fait, on t'a dit d'où venaient les triangles, ce que l'on pouvait faire avec ?
- Non. Juste dit d'apprendre les mots qui vont avec, là...
- Sans te parter de Thalès ?
- Ma laisse ?
L'épisode suivant eut lieu un dimanche, vers midi. Le froid nous tordait le nez mais dans ciel, le soleil était à notre rendez-vous. Sous la tour Eiffel, on aurait cru que tout ce fer allait décoller pour emmener Paris sur une autre planète. C'était aussi l'avis des pigeons, qui par nuages, volaient sans se poser, se méfiant du vieil épouvantail d'acier.
- Tu vois la tour ?
- On va pas monter ? On l'a déjà fait l'an dernier. Trop de monde.
- Non, mais si je te demande de la mesurer ?
- Faut grimper. Et puis t'as pas de ficelle assez longue ha ha.
- On va la mesurer sans monter.
- Ah (ce ah des enfants qui savent que vous préparé votre lapin qui sort du chapeau)
- On va suivre son ombre.
- Ah.
- On va compter le nombre de pas que mesure l'ombre et on fera comme un certain Thalès, qui il y a des siècles et des siècles, mesura, dit-on, la hauteur des pyramides sans monter dessus.
- Ah.
On compta. Traversant le pont. Trichant un chouilla car une partie de l'ombre était à côté, dans la Seine.
- Et maintenant ? fit le gaillard aux oreilles rouges
- On reconnait bien que la tour, l'ombre sur le sol, et la ligne imaginaire qui relie la pointe de l'ombre à la vraie pointe de la tour est un triangle. Tiens, un triangle rectangle, d'ailleurs, puisque la tour a été construite droite.
- Oui papa. (mon fils a toujours été indulgent avec moi)
- Et nous aussi, notre ombre là, sur le sol, elle fait un triangle rectangle, avec nous. Regarde ton ombre fait un pas. Et toi, tu mesures un mètre vingt...
- Vingt cinq !
On arrondit... Donc la tour, dont l'ombre fait 250 pas, elle mesure ?
- Un peu plus de 250 mètres ?
- Deux dixièmes en plus, comme pour toi : un pas, un mètre et 20 dixièmes de mètre.
- Euh...
- On trouve 300. C'est pas mal, avec nos à peu près et nos tricheries. Elle fait 320m, en fait.
La question des triangles était réglée. Le garçon n'a plus eu de vrais soucis en maths, jamais. Quand l'école était défaillante, il allait chercher ses réponses en parcourant d'autres jardins.
Nota : demander à des enfants d'ingurgiter des définitions sans leur livrer les clefs de leur usage, et au moins une fraction de leur histoire est un assassinat écoeurant et organisé de l'intelligence ! Ceux qui procèdente de la sorte devraient se trouver contraints de mémoriser, ligne après ligne, l'annuaire téléphonique d'Oulan Bator, pardon, ᠤᠯᠠᠭᠠᠨ ᠪᠠᠭᠠᠲᠤᠷ.
Nota 2 : la légende de Thalès au pied des pyramides est sans doute fausse. Mais en voici le principe, qui lui est juste.
source des dessins :wikipédia
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Les folles danses de la matière molle
En réussissant à produire dans un banal ruban de matière molle (silicone) des phénomènes ondulatoires complexes et inattendus (ondes de Dira...
-
" Un coup de dés jamais n'abolira le hasard " inaugure une nouvelle ère pour la poésie. Stéphane Mallarmé compare son oeuvre à...
-
Capricorne, au stade de larve, n'est qu'un creuseur. Un forçat tout à son festin de bois. Trois ans durant, aveugle, sourd, sans odo...
-
Catherine VINCENT (BLOG et ROMAN) (Le Monde et Le Monde.fr, le 15 juin) Quand la science se fait légère comme un papillon LE MONDE | 14.06.0...
1 commentaire:
Ha ce système scolaire fait de recettes. Nous ne les apprenons pas ils nous gavent avec d'ailleurs... Le pire c'est de voir dans le regard de la plupart de ceux qui détiennent l'entonnoir la cendre de la flamme éteinte. Impossible le positif dans ce système qui se mord la queue...
Enregistrer un commentaire