Il y a le fil, jaune, de la clôture électrique. Alors, pour ne pas prendre de châtaigne, lève ta jambe. Partout, sur l’herbe moussue, ruisselle ce parfum des bouses qui fait parler la terre. Mais où sont passées les « filles » ? Pas loin. Sophie les siffle, les chante, les crie. Les beautés caramel rappliquent au galop. Des limousines à la langue de soie. En bas, à la grande ferme, la centaine de taurillons que l’on engraisse quelques mois, à l’abri et au maïs, ne sont que numéros. Mais ici, dans le pré de la colline, les vaches sont les chéries de la patronne. Et elles le savent, qui ruminent et rigolent des yeux.
(en été)
Sur ce mamelon de la Gascogne râpeuse, pas trop loin d’Aillas ni de la lente Garonne de Mauriac nous sommes à Dautic, la petite ferme que Sophie Bourillon vient de sauver des ronces. « C’est beau, non ? Les collines, on dirait la mer, et puis d'ici tu vois loin, loin », rit Sophie, ses cheveux flottant dans ce vent qui distribue encore des baffes de gel. Pierre après poutre, elle la retape, sa maison des prés. « Pour en faire un gîte, une auberge, un relais équestre, un truc bio, où je serai en harmonie avec la nature, où des gens pourront venir... ».
L’an dernier, avec Cyril, son mari, et quelques amis « à la campagne les gens sont restés solidaires », s’étonne-t-elle , Sophie a grimpé sur le toit glissant et hissé 12 000 tuiles vers le ciel. Des risques ? Il faut aller vite, moins cher. « On est souvent limite », concède Cyril. Une fois, Sophie a été matraquée par un jeune taureau, un de ceux restés trop longtemps à la ferme pour cause de crise de la vache folle. Ce jour-là, il a bien cru perdre la mère de Corentin et de Victoire.
Il y a 20 ans, le jeune Bourillon déguerpissait de Bordeaux, fuyait son destin de notable. Cyril rachète la ferme de ses grands-parents. Une dizaine d’années plus tard, Sophie la citadine, passionnée de chevaux, le trouve là. Épaule contre épaule, ils ont galéré, traversé vaches maigres et folles, et les jours aphteux aussi. Aujourd’hui, la grande ferme, celle du bas, a été rendue à l'élégance de ses poutres et de ses briques. Il y a les deux enfants rieurs, les amis de la côte du Poulet, Kiev et Tahiti, les chevaux, un sac à puces gris et noir tout couillon avec les brebis et deux tracteurs.
La trouille, la vraie, n’est pas loin. L’angoisse de tout un monde paysan qui se sent perdu, téléguidé, contemplé comme une espèce rare, au musée du "c'était mieux avant". Il n'y a pas que des saints ici. La nuit parfois, claquent des coups de carabine et brûlent des broussailles. "Faut se faire respecter", laisse tomber un voisin. La discussion de ce soir, sans un regard pour la télé, allumée, mais le son coupé : "faut-il faire du bio ?" Les uns sont pour. Les autres contre. On verra. On fera comme on pourra.
Certains paysans sont restés des rois. Les jambes en terre, le regard au ciel. Décidant de leurs vies comme le marin, face à la grande houle. Comme lui, ils ne savent pas bien lâcher les mots. C'est pourquoi la parole et les silences ont ici un poids que les autres n'imaginent pas.
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