12.4.07

Le gène. Oui, mais lequel ?

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Les vues exprimées du candidat Nicolas Sarkozy sur la génétique et le déterminisme du comportement sont l’occasion de poser cette simple question : le gène existe-t-il ? Le gène politique, s'entend, ou du moins celui que l'on "récupére" comme tel à partir d'une fort vague définition scientifique.

A ce sujet un lecteur pourra s'étonner de l'écart existant entre les phrases suivantes :
1.« …on naît pédophile… Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense.»
2. « Je pense que nous sommes façonnés, non pas nos gènes, mais par notre propre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons. »
3. « Un gène n'est pas univoque. Une des grandes surprises du séquençage du génome humain réside dans la découverte du petit nombre de nos gènes : moins de 30 000, soit à peine plus que le génome de la drosophile ou mouche du vinaigre. Ceci sous-entend qu'un gène peut être inclus dans plusieurs réseaux de régulations complexes ; dès lors le résultat final de son activation n'est sans doute pas aussi simple que certains pourraient l'espérer. »
4.« Certaines maladies, telle la psychose maniaco-dépressive, ont une base génétique incontestable, et les états dépressifs constituent des prédispositions au suicide. En évoquant une "fragilité génétique", M. Sarkozy n'énonce donc pas, en soi, une contrevérité. L'erreur consiste à présenter cette fragilité de terrain comme le seul élément à prendre en compte. »

Jouons au jeu du "qui a dit quoi" ? Les candidats sont :
Nicolas Sarkozy (Philosophie magazine)
Michel Onfray (Philosophie Magazine). Philosophe « de gauche ».
Hervé Chneiweiss, médecin et biologiste, ayant exercé dans un ministère « de gauche ».
Catherine Vincent, dans un article du Monde, citant entre autres le généticien Axel Kahn.

Bon évidemment, on simplifie, les réponses, c’est dans cet ordre là. Avouez que c’est impressionnant. Que faut-il comprendre ?
credit photo Le paradoxe, c'est qu'aucune de ces assertions n'est fausse (même si certaines sont plus précises que d'autres). Hérédité il y a, bien sûr, sinon nous ne serions pas là, M. Sarkozy. Mais bon, à force de "croire" le débat n'avance pas beaucoup. Le pédopsychiatre Boris Cyrulnik aime dire à ce sujet : "l’inné c’est la farine, l’acquis le lait, et une fois que c’est cuit au four, impossible de les dissocier". Ce qui n’empêche pas les raisins secs de rester des raisins secs. Mais leur goût peut changer dans de vastes proportions, si c’est brûlé.

Cette métaphore de Cyrulnik a le mérite d'aborder la question par une autre facette. La notion de gène se prête-elle à la simplification que veut lui faire subir le débat idéologique et:ou politique ? La réponse est fort voisine du non absolu. Hors la bataille de l’inné et de l’acquis est une loufoque, vieille et longue affaire moins scientifique que morale, sociale et politique. Les notions d'hérédité et de gène s'empoignant volontiers, quoiqu'avec des histoires diférentes, depuis la fin du XIXème siècle, dans les pays anglo-saxons et sur les terres latines. Bien avant le moine Mendel, et pour simplifier, deux clans opposés puisaient dans les prémisses du gène (alors inconnu) des arguments définitifs pour clouer le bec à ceux d’en face.
D’un côté (extrème) de l’arène, les conservateurs qui imaginent volontiers que le génie et les tares sont aussi héréditaires que les qualités d'un cheval ou d'un lapin et font du gène le support idéal de leur démonstration "de bon sens". Avec des dérives et des horreurs bien connues. De modernes sociobiologistes rêvant ainsi de mettre la main sur le "programme" ou serait inscrit le comportement social des humains. Et leurs inégalités, puisque l'hérédité et le destin ont servi d'argument au partisans de l'ordre naturel du monde et de l'esclavagisme.
En face les réformistes, égalitaristes estiment qu’un homme ne naît ni bon ni mauvais, mais "libre". À leurs yeux la page est certe celle de l'"enfant sauvage", vierge et brouillone (on n'a pas l'hérédité que l'on veut), mais peu importe car l’individu devient surtout ce que le groupe, l’école, la culture, la société font de lui. Eux encore usent de l’argument « gène », mais à l’inverse, dans sa complexité, pour asseoir leur argumentation dans la minoration de leur déterminisme. On en effet peut lire dans cette agitation moléculaire des cellules une redistribution des cartes à chaque génération (où sont, sinon, les oeuvres des rejetons des grands artistes ?) et dans les subtilités de l'expression moléculaire une plasticité qui libère et autonomise l’individu au point de mettre à bas toutes les thèses qui séparent les peuples, les castes, les soi-disant races qui ne sont que des ethnies.

L'histoire de ce que Georges Canguilhem dénommera les "idéologies scientifiques", à propos des races et de l'eugénisme, montre à elle seule que rien ne s'éclaire lorsque par recherche effrénée d'arguments, de bons mots, ou d'images aptes à leurrer les foules l'on s'aventure à la simplification, à la réduction des thèses de la biologie. Et que tout cela a déjà fini, plus d'une fois, dans des torrents de sang et de boue.

Surprise, par ailleurs : en amont de ces dérives simplistes, dans le creuset complexe de la recherche, là où tente de se forger depuis des décennies une théorie génétique, on découvre que cela résiste et chahute beaucoup.

"Rétrospectivement, le plus surprenant est que le déterminisme génétique, vu par Dawkins ou par d'autres biologistes, ait pu sembler constituer une théorie valable pour la biologie pendant un si grand nombre d'années" constate le britannique Denis Noble dans son appel "pourquoi il nous faut une théorie biologique". L’actualité scientifique est assez riche de rebondissements et la situation si chaotique que certains chercheurs en arrivent en effet à la conclusion que la théorie génétique n’existe pas (encore ?) : Evelyn Fox Keller, historienne des sciences et professeur au Mit constatant que le mot "gène" voit son contenu «défini par le contexte expérimental dans lequel il est employé». Et souligne dans son ouvrage "Le siècle du gène" (Gallimard) que c'est bien à travers la simplification des thèses scientifiques qu’émerge un propos socialement déterminé, instrumentalisé. Voir aussi "La Légende des Gènes", Gérard Lambert (Ed Dunod) ou Pierre Roubertoux : "Existe-t-il des gènes du comportement ?" (Ed. Odile Jacob).

Faut-il d'autres raisons pour laisser les gènes aux généticiens et cesser de leur emprunter des représentations simplificatrices et fausses ?

2 commentaires:

Jean Pierre Texier a dit…

Peut-être nait-on "gènophile" ou "gènophobe" ? Dans ce cas, les pistes sont encore davantage brouillées ... ce qui ne fait pas l'affaire des réducteurs de têtes (de tous poils et de tous gènes) !

Mac G a dit…

On nous a rabaché que l'autisme était une affaire génétique ! L'entourage n'y était pour RIEN. DE même pour l'hyperactivité, cette invention nouvelle qui caractériserait le comportement des enfants tres chiants... Ainsi de suite on assure partout que "c'est génétique" et qu'il faut se déculpabiliser... Bon, c'est plutôt "de gauche" ça quand même non ? Ne pas culpabiliser les bonnes gens, comme , ne pas désespérer Billacourt.
Alors Sarkozy se croit tendance, il prend la posture Delarue, la thèse sympa, celle qui innocente tout le monde, les chromosomes quoi !
, et Plaf !
Il a faux!
Et c'est la gauche qui le dit!
Alors moi je suis content, les chercheurs de gènes causaux vont peut-être nous lâcher un peu, et on pourra de nouveau réfléchir sérieux a l'interraction entre les gènes (certes) et le milieu, c'est à dire, le plus souvent, quand même, le grand orchestre familial !

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