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Si dans l'absolu le voyage dans le temps était possible, si des lignes commerciales de croisière temporelle devaient se développer dans notre futur, c'est imparable : déjà, nous devrions nous voir assaillis de hordes de rudes Arvernes et de ravissantes créatures du futur (l'avenir de l'Homme, c'est la femme) trépignant de se voir photographiés devant la tour Eiffel. Pourquoi n'est-ce pas le cas ? Les pissefroids décèlent dans cette absence de voyageurs l'impossibilité absolue (et pour toujours) du voyage à travers le temps.
Haha. Mais non. Vous n'y êtes point, sceptiques. La logique nous l'explique : la machine à voyager dans le temps, si on l'invente (voir les trous de vers, plus loin) ne permettra de revenir que jusqu'à la date de sa conception. Un peu comme si le tourne-disque ne nous permettait d'écouter que la musique apparue depuis Edison et Cros.
Voyez le tableau, le jour d'inauguration. Tout le monde en costume joyeux. On danse. C'est un peu carnaval. On appuie avec émotion sur le bouton, et hop, en moins de temps que dans l'instant, par milliards les voici qui viennent fréquenter chez nous, les désespérés du futur. Car c'est bien connu, cette époque est la plus belle et je vous assure, demain on nous l'enviera. Et encore, imaginez l'ennui de tous ces jeunes vieux à qui on aura bricolé une vie éternelle, là-bas, en tripatouillant leurs gènes. Quel dépaysement de venir visiter nos tribus agitées et grognasses du début du XXIème siècle, jamais d'accord entre elles, votant non...
Bref, le bidule à affoler les horloges permettra aux neurasténiques descendants de l'inventeur de venir le visiter, mais pas au-delà. Non : nous n'irons jamais gratouiller les crêtes des dinosaures.
Bon, Paul Davies, dans son croustillant "Comment construire une machine à explorer le temps" le prend, on l'aura compris, sur le ton ironique et fumant de l'humour british. "Le voyage dans le temps ? La réponse est oui... à condition, tout de même de trouver une prise de courant et de résoudre "quelques petits problèmes". La liste des courses à faire et des conditions à réunir pour la dite machine remplissant l'épaisseur de son ouvrage. On envisagera la formation d'un autre univers, plus commode pour inverser les flèches du temps (la causalité des choses n'aurait pas lieu de la même manière, à l'échelle subatomique), ou alors le percement, dans la cave, d'un "trou de ver".
Ah, ce célébrissime "trou de ver" ! Sorte de tunnel reliant deux "versants" de l'espace temps (au lieu de transpirer dans la montée du col d'altitude, certains se la coulent douce en prenant par le tunnel), un concept travaillé par Einstein et Nathan Rosen, déjà autour du problème du trou noir. Vous imaginez bien : dans un soleil effondré, un endroit de l'univers ou l'attraction est forte au point de retenir la lumière, il peut s'en touiller des choses. Comme l'ouverture d'un passage vers un autre point particulier, un autre trou noir de l'univers, par exemple. Il suffirait de se glisser alors par cette étrange asticot pour se trouver dans l'instant à des milliards de milliards de kilomètres de là. Et cela, dans l'univers d'Einstein, c'est aller plus vite que la lumière, donc remonter le temps. Capito ?
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Au fond, est-ce que la question a de l'intérêt ? Certes, car elle oblige à s ' interroger sur la nature du temps. Car si le temps était une dimension comme une autre, nous pourrions en effet y voyager comme qui rigole.
Einstein décrit dans sa théorie de la relativité un univers formé de 4 dimensions, équipé d'un temps non plus universel, mais obéissant à de drôles de variations. S'en suit toute une ribambelle de paradoxes fort ludiques, comme le ralentissement du temps pour le jumeau qui monte et accélère dans une fusée par rapport à son double resté sur Terre, ou encore un freinage du temps avec la gravitation (il "s'écoule" plus vite au sommet de la tour Eiffel qu'en bas). Pour ceux démunis de jumeau, on se consolera avec sa dilatation liée à l'inflation de l'univers...
On peut aussi admettre que le temps, comme l'a proposé le logicien Kurt Gödel, devenu dans les années 40 adeptes de ballades vespérales et bavardes en compagnie d'Albert (Einstein) parmi les effluves des sycomores de Princeton, est autre chose qu'une dimension. En fait, tout se passe comme s'il n'existait pas, le temps. Comme s'il constituait un sous-produit intime des événements de l'univers. Le plus infime phénomène (tout ce qui bouge, frétille, fait varier de l'énergie) distillerait ainsi son temps propre. La somme immense des événements qui font le monde (les atomes de toutes les étoiles et autres tas de molécules) produisant encore et encore des additions de temps, jusqu'à l'échelle de l'univers. Le temps du cosmos, celui que nouss observons serait ainsi la résultante des temps distillés par tout ce qui s'y passe...
Gödel avait d'ailleurs imaginé à partir des équations d'Einstein un univers théorique (en rotation) qui répondait aux critères de la relativité et permettait vraiment de voyager dans le temps. Mais c'était là un paradoxe conceptuel, figure familière pour ce coquin, qui fit du coup prendre conscience à son ami Albert que si l'on poussait le bouchon de la grande théorie relativiste jusque dans le goulot de la bouteille, on réduisait en poussières non seulement le temps absolu de Newton, mais aussi celui du grand Einstein. Eh oui : le temps était né à la physique avec Galilée, s'était imposé avec Newton, nous avait donné le tournis sur le manège endiablé de la relativité pour finir par sombrer dans une espèce d'incertitude molle.
Alors mon bon Monsieur, du temps, je vous en mets combien de kilos ?
"Comment construire une machine à explorer le temps" (Ed EDP Sciences, avril 2007)
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