7.11.07

Melany

Je suis à Frisco. Chez Jam. Jam filme les dauphins depuis la passerelle des bateaux de pêche, lorsqu'ils les massacrent. Il s'embauche cuistot ou mécano, caméra dans le slip. Ses images de la tuerie ont fait coffrer pas mal de fumiers de l'océan. On les voit, sur les films, qui se bidonnent lorsque les filets remontent et que les poulies crantées écrabouillent les souffleurs. Il sait, Jam, que se battre avec eux, c'est comme s'asseoir sur un caillou et essayer de lui parler. Un équipage viré, un autre embauché. Allez surveiller ce que font tous les pauvres types que porte cette terre. Il le sait. Il le fait. Il filme et gueule. Sinon, autant aller tout de suite danser avec les macchabées.

La maison de bois branle sur la colline. Le matelas nu sur le plancher. L'odeur d'herbe, la pluie d'hiver, le tintement des grelots à vent. La pente de ces rues avec douceur roule et verse dans l'océan tous ceux qui ont trop voulu ou trop bu. Le franciscain, le brouillard et son Golden Gate qui gémit de toutes nos belles envies suspendues à lui. Alcatraz se visite. Par ici dormait Capone, attention à la marche m'sieur dames. Il y a un drapeau qui flotte à l'envers. Manque plus qu'un régiment de majorettes et je me croirai il y a quinze ans, reporter et content. Tzim Boum.

Melany a ses cheveux emmêlés autour d'elle. Son dos contre moi. Elle a coincé ma main entre ses cuisses. Elle me brûle. Comme on faisait dans les seventies pour dire à l'autre que ce que l'on pouvait lui donner de mieux, c'était baiser en paix. Et puis roupiller, que ce soit sur la poussière du Mali ou dans les draps de Tokyo.
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J'ai froid. Même dans le creux de mon rêve, putain, ce que j'ai froid.
Je ne suis pas à Frisco moi. Le poêle doit être éteint.
Je ne me réveille pas.
Je hais ça.
Je m'accroche à rester profond.
C'est toujours lorsque les rêves ont de chauds nichons qu'il faut les assassiner.
J'ai froid.
C'est sûr cette saloperie de poêle est éteint.
Alors j'envoie mes jambes en l'air, près du nez, et je saute de la couchette, le sac autour de moi. Momie et lambeaux de rêves.
J'espère tomber.
Me rendormir, assommé.
Mais non, ça tient debout.
Debout dans le carré. Saucisson réveillé, un oeil ouvert. Le sac au sol. Nu. Sans rêves. Nu et amer.
Il doit être deux ou trois heures du matin, on entend mes dents qui claquent, et plus les dauphins qui respiraient autour du bateau.
Pas un grincement, pas une drisse qui siffle, rien.
C'est fou ce pays. Tu te prends 50 noeuds de vent en dix secondes. Tout fume. Les rachas dégringolent la Cordillière Darwin et réclament la peau que tu laisses sur les amarres et la chaîne, à te bagarrer pour que le mouillage tienne. Et puis tout se calme plus vite que l'on change de bottes.
Autour de moi l'air pisse de froid et même dans le noir, je vois mon haleine blanchir comme celle d'une baleine.
Je m'ensevelis dans mon froc et deux ou trois pulls. On ne compte plus. On empile.

Je tousse. Melany est en moi. Il y en eut, des nanas parachutées sur ma vie et à ma surprise certaines ont été jusqu'à ramper avec moi dans la confiture. D'autres sont parties sans même fumer une cigarette ou faire semblant. Melany ce ne fut que deux ou trois nuits. Sans être à moi, puisque Jam dormait dans la chambre d'a côté et que cela ne posait de problème à personne. Sans être à personne elle traversait l'air et c'était tout. Elle passait en me disant : "toi, faut que tu arrêtes de croire". De croire quoi ? Elle ne répondait jamais. Elle me regardait, sans sourire des lèvres, mais avec son nez. Un nez qui se plissait entre les yeux. Elle était tout. Je faisais le malin, semblant d'avoir compris pour à la nuit encore toucher sa peau.


Je crie en silence. Je n'avais refermé le capot de la descente qu'à moitié et en grimpant sur le pont il ne me rate pas. Cela saigne. Vieux comptes. Vieux amis.

Mais là, dehors. Jamais vu ça.
La coque de ce bon vieux Juan Sabulan vole dans le ciel.
Le voilier est cerné.
On ne voit plus rien que le ciel, en bas, en haut, partout.

Je montre du doigt, j'y crois pas, l'eau noire des mouillages perdus de Patagonie. Je montre le ciel, la même encre qui coule dans la mer. Il y a bien le glacier là, et sa pâleur qui ondule dans la nuit. Je m'en fiche. Je remontre l'eau, lisse comme du chocolat. Et puis le ciel, profond comme mon vertige de Melany.

Chacune, la moindre de ces putains de milliards d'étoiles est tombée dans l'eau, y a fait son double, dans cette eau lisse, pour me dire que je flottais, nulle part ailleurs et partout.

C'est ce qu'elle disait, Melany.

Je ne sais que flotter.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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