C’est sa manière de poser son dos contre le lampadaire et de plier la jambe à mi-hauteur qui m’est restée. Je m’embusquais dans le coin du râtelier à vélos, les reins contre la glace du métal. Le froid me prenait les orteils et me disait : crétin.
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Malgré le mouvement de foule, chaque matin à l’entrée des cours, elle restait là. Sourde au grondement de la ruée. Evadée. Elle ne se laissait avaler par le lycée de vieux grès, blottit contre la cathédrale, que lorsque le porche en avait fini avec toute la meute. Rien que cette étrangeté aurait pu me suffire. Elle savait aussi écarter ses cheveux sans faire tomber la courroie du sac de son épaule.
Je l’ai longtemps surveillée, en silence, derrière la barricade des écharpes et des vestes kakis que tout le monde portait à cause du Vietnam. A chaque récré aussi, je la cherchais. Je l’épiais comme on observe une sauvage, dans la forêt. De loin. Parfois de près, à contrevent ou dans un mouvement qui aurait pu sembler provoqué par le hasard. Sans faire craquer de bois.
Ses cheveux noirs très longs et son col fourré n’avaient rien contre moi. Rien pour non plus. J’étais à l’âge où quand on ne sait rien dire on la boucle.
Quand j’ai su qu’elle militait à la LCR (ligue communiste révolutionnaire) je me suis précipité. Les vieux copains qui me tannaient depuis des années pour me recruter y ont vu le salut de ma conscience politique, tout en m'égrenant des sourires en coin.
Deux semaines et pas mal de rasades de bières plus tard, devant le lycée, je haranguais, réclamant que l’on ouvre le ventre à tous les patrons. Troski était mon guide, la Fraction armée rouge mon exemple, et dans l’ascension de mon espoir j’étais prêt à tondre la moindre cause égarée. Je suis devenu son acolyte. Sans jamais lui parler de choses plus osées que Proudhon. Désormais avec elle je vendais Rouge (quotidien de la LCR), et la voyais renvoyer dans leurs limbes tous les camarades à poil au menton qui l'approchaient. Elle savait les écarter sans lâcher son sourire. Ca les rendait encore plus fous. Celui qui lui disait que ne pas coucher, c'était bourgeois, Christan aux cheveux gras, personne n'ignorait que c'était c'était parce qu'il avait eu droit à son coup de genoux.
Des mois passèrent et sur mon Solex je volais vers le bahut. Dans son sillage la vie frémissait et glissait des uns aux autres. Nos Rouge invendus, nous les déposions le vendredi soir au fond de la vieille salle de musique. Un accord avec le prof à tête de Trénet, défroqué du PC. Nous discutions, assis sur les marches de l'estrade. Dans la pénombre le parquet exhalait son odeur d'huile. Cela ne durait que quelques minutes, mais elle était à moi. Pour faire durer, j'apportais des clopes et parfois un joint. Puis nous nous mettions à délirer sur Lawrence, la Palestine, les désert et des dunes. Je ne sais plus pourquoi. Mais elle était la seule à ne pas rabâcher des trucs féministes.
Un soir elle déposa sa pile de journaux, se pliant comme un serpent. Elle se retourna pour me parler et surprit dans mes yeux toutes ces envies où je trébuchais. Pourquoi faut-il qu'elles nous lisent ainsi ? Sans un mot elle me prit le col et tira, me menant derrière les tentures. De lourds rideaux masquant les instruments. Quelque part dans le lycée, au loin, dans ce soir de printemps grondait une AG contre les lois Debré. Elle étendit nos vestes vertes entre les pupitres des cymbales et un banc de bois. Agenouillée, avec son sourire qui murmurait. Je lui ai touché les cheveux et me suis enivré de ses seins. Je la regardais dans les laques du piano. Dansante et si floue.
Le sexe est-il de gauche ?
Moi aussi, cette question aurait pu me surprendre. Mais il est des écrits comme des humains : on les croise. Déjà, je sais que je triche. Le livre dont je vais parler s’intitule « La gauche et le sexe », et non « le sexe est-il de gauche». Il est publié chez Danger Public, écrit par Anna Alter et Perrine Cherchève, toutes deux journalistes à Marianne.
Un livre de journalistes, bien documenté, fourni, enlevé.
On tentera de comprendre cet étrange paysage : selon une étude (sic), les pratiques (sexuelles) du Modem arrivent en tête dans plus de 30 % des cas ; les extrémistes de gauche s’avèrent plus « coincées » ou alors « soumises » (aimant être attachées ou avaler) ; les activités sexuelles du viré du PCF l’architecte Roland Castro, mao fondateur de la revue « Tout ! », les revendications des homos et celles du MLF qui hérissent tant la gauche.
On devine qu’il s’agit de dire comment les féministes furent roulées dans la farine par les hommes et les partis de gauche.
Au-delà, c’est de nostalgie dont il s’agit. Et c’est peut-être là un vrai livre sur 68, après les énormités que l’on a pu lire ici et là.
Mai fut une pulsion. Une pulsion contre la mort et l’immobilisme d’une France surannée. Contre l’ennui, la douleur et la destinée faite aux femmes, bien entendu. Le sexe était-il central ? Et comment.
« La gauche et le sexe », Anna Alter et Perrine Cherchève, Ed. Danger Public.
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5 commentaires:
La bande annonce du livre...
http://www.dailymotion.com/PhilippeMoreau/video/x3ipq2_la-gauche-et-le-sexe-les-40-ans-de_politics
Cette histoire serait terriblement moins sexy avec une militante FN qui vendrait National Hebdo en éructant des chants du IIIème Reich! Moi, le Reich que je préfère, c'est Whilhelm.
@ Rosa... Et comment ! Et renvoie à la question de comment sont fondés nos choix politiques, en creux de nos vies et de nos sens de l'humour !
En creux, mais aussi en bosses, parce que des coups, on s'en prend, & pas que des coups de "Rouge"!(Vanne très approximative, tentant d'allier dans un même élan militantisme festif & radicalité alcoolisée!)
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