29.11.07

Maman-éléphant

Le comble c'était ce soir tout en soleil. Orange, la lumière d'automne rasait la terre et nous pétrissait à la manière de ce grand frère qui vous prend par les épaules, et vous serre encore une fois contre lui. Une dernière. Avec un peu de rudesse et tant de vie. L'incertitude des jours qui raccourcissent est plus fraîche que l'eau du torrent. Plus sifflante que les arbres qui plient dans le vent. Plus salée que du sang.
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Elle avait fait le chemin jusqu'à la véranda, et se tenait là, à deux mètres au-dessus de nos têtes. Perchée à la fenêtre. Pour faire durer le spectacle, nous avons pris le temps. Installé Max à l'arrière, dans le couffin attaché au siège, callé les coussins et posé les affaires de cette vie qui commençait. Le bébé n'avait pas un mois. Elle lui avait fait toucher sa voix. Goûter ses caresses et sa peau. Puis nous sommes montés dans la voiture à notre tour. Je suis resté là, hors du temps, si longtemps, assis, les mains sur le volant, sans fermer la portière. Regarder devant moi. Ne penser à rien.

Le courage m'est venu. Je me suis tourné vers son regard d'oiseau. Son regard où toutes les langues auraient pu claquer de joie et rire. C'était pire qu'annoncé. Les petites misères, les odeurs de Nivéa dans le cou, les mains au ciel et les cris, tout y était. J'ai haï de devoir fermer cette portière. Je l'ai tirée, avec lenteur. Comme si ce geste n'existait pas. Les odeurs de terre et de feuilles tombées au sol se sont évanouies. Il ne restait plus que l'atmosphère sourde de la voiture. Plastiques et moquettes. Un cocon loin de toute vie. J'ai toujours ressenti que dans le ventre des machines, nous étions entre parenthèses.

Le regard a duré, mais derrière le pare-brise, là-haut, ce n'était plus pareil. Comme si dans notre capsule nous étions déjà partis pour Mars.

Elle eut un geste. Un signe de la main gauche, le bras valide. Sur ses lèvres s'est émietté un sourire. Je me suis vu tailler des flèches, m'érafler les mollets dans les arbres. Je me suis vu courir vers elle quand j'avais huit ans. La faire rire c'était facile. La faire pleurer encore plus, à faire mine de m'évanouir à la messe pour ne plus devoir aller subir ces pitreries à l'encens. Regretter de ne pas lui avoir dit que j'aimais quand elle était assise dans la pénombre, à l'Opéra, que j'avais vu ces larmes cascader à cause de Verdi. Je veux encore ses nouilles, ses tartes, me gaver de sa vie trop saupoudrée de cannelle. Et puis lui demander de loucher, de prendre cet air idiot qui faisait fuir les clientes qui venaient râler dans sa boutique.

J'aurais voulu lui demander de regarder à travers moi encore comme elle le faisait lorsque je cachais mes pétards dans mon dos, après avoir fait péter les boîtes aux lettres des voisins. Et peut-être me souvenir de ce geste du poignet qui trahissait son pardon avant les mots, lorsque face à la vie j'avouais des limites.

Et puis...

Non, c'est ce geste là qu'elle a voulu faire, je l'aurai juré. Pour toutes ces fois où je l'avais trahie. Toutes ces fois où j'ai eu honte de son accent alsacien. Et puis le visage a blanchi. Le voile du rideau. Ses yeux ne me quittaient pas, mais derrière, plus loin.

J'ai mis le moteur en route.

Strasbourg-Paris. Cinq heures. Belle moyenne pour un dimanche soir. Avec Pascale, nous avons du échanger dix phrases. Max a dormi. Quand nous sommes arrivés, la voix de ma soeur attendait sur la cassette du répondeur.

Nous avons sorti les bagages et le bébé et je suis retourné à Strasbourg avec une pluie à égarer un espadon. Les essuie-glaces n'y pouvaient rien. Elle était dans mes yeux, la pluie.

Le ruban de l'autoroute me répétait que ma mère avait tenu des mois pour voir le gosse, puis elle s'était laissée glisser. Je garde cette image, elle avec sa longue trompe. De son visage pendait ce tube de plastique qui fit d'elle l'héroïne absolue de ma vie. Il lui permettait d'avaler du temps, de tenir ces quelques semaines. Elle en riait avec hoquets. Faisait brrrrrr avec ses joues grises du cancer.

- Je serai réincarnée en grand et sage éléphant, hein ?

- Oui, maman. Pouet aussi.

4 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour ,

Je découvre votre blog et ...j'aime .Je me suis permise de le mettre en lien sur le mien .J'espère que vous ne tiendrez pas rigueur de mon audace

(.) a dit…

Soyez mille fois la bienvenue, Mys. Merci à vous. Et où se loge-t-il, votre mystère, où vous trouve-t-on ?
pl

Unknown a dit…

Puisque vous insistez...http://mysterieuse.blogs.com/

Paula a dit…

Hommage émouvant , presque joyeux, où la douleur est retenue entre sourires et larmes...

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