Chronique France Inter (3 déc 2007)
Avez-vous déjà mangé votre père ?
Votre mère non plus ? Personne ?
Etrange. Car en fait l'autre soir, cette question s'est imposée à moi : « au fait pourquoi n’ai-je pas mangé mon père/ Oui, pourquoi ne suis-je pas cannibale ? » Quelle drôle de question me direz-vous ? C'est la Saint Nicolas ?
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Et bien pas du tout. C’est une question normale, puisque j'assistai ce soir-là à une représentation de la pièce adaptée du fameux (et excellent) livre de Roy Lewis "Pourquoi j'ai mangé mon père".
L’histoire se dénoue au cœur de la préhistoire, autour de l’invention du feu, des armes, et de l’exogamie (accouplement en dehors de la communauté). Une aventure drolatique, où par exemple la brave Griselda, la femme convoitée par Ernest le pithécanthrope l’aguiche, le sème et le malmène par forêts et savanes des jours durant, jusqu’à l’épuisement du dit chasseur. Le même Ernest finira par dévorer son père, qu’il trouvait trop dangereux avec ses idées de progrès, d’armes nouvelles, d’arc et de flèches…
Une adaptation menée tamtam battant. L’acteur, Damien Ricour, incarnant d’ailleurs avec l’énergie d’un mort de faim tous les pithécanthropes du récit, mais aussi fauves et mammouths. C’est excellent et c’est à la Manufacture des Abesses, à Paris, tous les renseignements sur leur site.
Mais revenons à nos débats, pourquoi ne sommes-nous pas cannibales ? Pourquoi nous ne mangeons-nous pas nos parents, contrairement à nos ancêtres ?
Je fais évidemment comme si nos tabous religieux et moraux n’existaient pas, vous pensez bien. Car les tabous ne comptent pas : ils peuvent retourner leur veste.
En fait je dirai même que le cannibalisme revient à la mode. Mais si, regardez, tous ces faits divers.
Je ne vous parle pas seulement de Hannibal Lecter, la série du Silence des Agneaux !
Il y eut Issei Sagawa. Le 11 juin 1981 ce Japonais de trente-deux ans tue une jeune femme, lui «fait l’amour» puis la découpe et goûte ses fessiers. Trois ans à peine après son crime, le « cannibale» repart au Japon, où il est devenu au fil des ans un expert reconnu du cannibalisme.
Il y en est d’autres, comme Armin Meiwes, le «cannibale de Rotenbourg». Huit ans et demi de prison pour avoir saigné et consommé un ingénieur berlinois, recruté par petite annonce, en 2001.
Encore ? L’été dernier, en Autriche , dans un foyer social de Vienne, Robert Ackermann, retrouvé par une femme de ménage auprès du cadavre « diminué » du certain Josef. S.
Attendez… Si dans certaines tribus, le cannibalisme fut longtemps pratiqué, il y a tout de même débat sur son importance réelle. Car on ne sait pas si les missionnaires et autres coloniaux n'ont pas un tantinet exagéré.
En 1572, dans ses Essais, Montaigne propose une réflexion qui permet de considérer le cannibalisme comme "juste". Lors des conflits les perdants, selon lui préférant être tués et dévorés que souffrir toute leur vie la honte de la défaite. C’est parodique, et à prendre sur le mode de l’ironie mais le mythe fondateur du « bon sauvage », meilleur car plus proche de la nature, est lancé
Et au XVIIIè siècle, les Lumières usent du Cannibale dans la querelle anticoloniale et anticatholique. Cannibale, sauve-nous !
Mais cette belle image s’évanouit très vite ! Au 19ème il devient une figure odieuse, incarne la bestialité, intéresse Sade ou trouble Flaubert, et pas pour les mêmes raisons. Flaubert c’est avec l'affaire du Radeau de la Méduse, des survivants se dévorent entre eux. Sade je vous laisse voir.
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La réponse, c’est que si l’on a cessé de se dévorer les uns les autres, c’est probablement car en se mangeant, on se transmettait de redoutables maladies. Dont la variante humaine de la maladie de la vache folle.
En Papouasie surtout. L’étonnante maladie du KURU y a été décrite dans les années 50 par Daniel .C. Gajdusek. Le kuru est une encéphalopathie spongiforme transmissible par le rite funéraire anthropophage. Les femmes et les enfants consommaient le cerveau des parents décédés. Puis en mourraient. Les hommes en réchappaient eux, car ils ne mangeaient que la chair
Et depuis des publications scientifiques ont accrédité ce point de vue : il n’a jamais fait très bon dévorer ses congénères. Ou alors il faut savoir choisir son morceau.
Ps, aux lecteurs rapides :
Ce que je veux dire ici est à propos des mots, de l'écriture, cet appétit sans faim des autres et de nous.
"Je ne t'étreins plus
J'étreins une poignée de sang
qui ne saigne pas"
...
Mathieu Bénézet (Ceci est mon corps, Ed. Léo Scheer)
LIENS
Manufacture des Abesses (théâtre)
Canibal Holocaust
Cannibale Rotenburg
Cannibale à Vienne
Cannibalisme des tueurs
Anthropophagie et art
Le cannibalisme, croyance, rituel ou fantaisie de l'esprit ?
Epidémies prions préhistoire
Le radeau de la méduse
Wikipédia
Différence entre cannibale et anthropophage
Levy Strauss
Chez les animaux (ours polaires)
blog : la buvette des alpages (sur les brebis, les ours et les loups)
Le cannibalisme, les maladies à prions
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