8.12.09

Love, Lov, Lo, L

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(Nouvelle)
Texte ©PL


Monsieur T (d'ailleurs peut-être s'agit-il d'une dame, et de toute façon en aucune manière il ne souhaiterait être reconnu dans la rue et comme aucune obligation légale ne nous y contraint, nous le maintiendrons anonyme), Monsieur T dis-je n'avait jamais connu l'amour. Soyons précis. Nous parlons du sentiment. Jamais l'aile de celui-ci ne les avait effleurés, ni lui ni sa vie.


C'est sans doute pour cette raison que Monsieur T a conçu l'étrange machine dont nous faisons le procès ce soir, ce minable PC essoufflé et dépassé acquis dans une solderie une année auparavant. Au passage nous nous félicitons désormais que les machines ayant dépassé et de loin les attentes ou consignes de leurs concepteurs soient jugées en leurs responsabilités propres. Leurs propriétaires, lointains et inconscients acquéreurs, ne peuvent en effet être soupçonnés de quoi que ce soit dans le cadre de cette contamination générale des cerveaux électroniques.


Cela souligné, au début de tout il y avait bien ce manque d'amour que ressentait Monsieur T. J'espère que les membre du jury comprendront l'importance de ce point pour ma démonstration dans la mesure où ce déficit n'a pu qu'imprégner les circuits logiques de l'aveugle machine.


Monsieur T vit dans cette époque. Un temps dont personne n'ignore qu'il déborde de réseaux, d'ordinateurs, de connexions, de moteurs de recherche, d'applications sociales, pirateries et toutes sortes d'ordinaires folies. Il n'est finalement guère surprenant, dès lors, qu'il pense à utiliser son PC pour combler la frustration affective qui rongeait son existence.


Voici donc notre cher T qui s'élance. Il n'avait jamais programmé mais il se penche sur quelques livres et forums. Et voici que germe à son esprit un premier algorithme. Une simple séquence qui traque, et cela dans toutes les langues connues, l'expression "Je t'aime" dans l'intégralité des méandres d'Internet. Tous ? Pardonnez-moi. Cela est bien entendu impossible. Non, plus habile, Monsieur T poste à chaque carrefour un petit surveillant logique. Celui-ci guette les mots affectueux et les signale à la machine mère dès qu'un wagonnet transportant les expressions convoitées vient à passer.


Les premiers temps, tout se passe bien.


La machine rapatrie en son noeud central une litanie de "je t'aime" accompagnés de leur contextes et circonvolutions, limitées par le logiciel à une phrase périphérique. Peu à peu la mémoire du PC se remplissait. Monsieur T n'a jamais eu l'intention de faire oeuvre exhaustive. Il n'avait pas dimensionné la capacité mémoire de notre PC au-delà de son élémentaire curiosité. Il ne souhaitait rien d'autre que comprendre, peut-être effleurer l'étrange et inconnu sentiment, à travers l'usage que les autre en avaient. Aussi le PC était-il largement sous-dimensionné. C'est bien là ce qui le met hors de cause !


Les quelques milliards d'expressions récoltés le premier mois , donc, suffisaient amplement à tenter une définition sémiotique de l'amour.

Sa faute, la seule, peut-être, à cet instant, fut que la machine ne signale pas son état de saturation. Mais qui d'entre nous aurait pu imaginer ce qui allait se produire ? Sans penser à mal, ni nourrir d'autre ambition, Monsieur T laissa tourner son serveur.


Ce qui advint vous le savez. Mais laissez-moi bien préciser les circonstances; elles ont leur rôle.


La mémoire de la machine pleine, il se passa quelques chose que nos ingénieurs peinent toujours à expliquer. Au lieu de stopper, ou bien de supprimer des données pour laisser place à de nouvelles expressions amoureuses et corrèlaires, ou même de se clore comme une huître et de refuser tout nouvel extrait entrant, notre PC se reprogramma. Il se mit soudain à collectionner des expressions de plus en plus larges associées aux mots d'amour. Surprenante frénésie ? Non. Car là encore, il ne s'agit que d'une logique interprétation. La machine lut dans son code qu'elle devait parachever sa tâche. Là où Monsieur T n'avait demandé qu'une phrase de contexte, mais la plus précise, l'engin réussit à incrémenter sa fonction de recherche pour capter deux puis trois phrases périphériques. Chacun sait que cela se fait au bénéfice du sens. Et ce fut très vite tout un paragraphe. Et enfin, tout le texte, que l'engin pourchassa et pressura pour en extraire le sens et tout le réseau sémantique.


Il était déjà bien tard.


La mémoire me direz vous ? C'est la plus étonnante prouesse. Sans y attacher d'importance Monsieur T avait conçu son programme initial de telle manière que si la place de stockage venait à manquer il devait partager ses données avec les serveurs les plus proches, dans la mesure de leur espace disponible.


Monsieur T n'y pouvait rien, et personne d'autre non plus. L'automate premier avait contaminé de mots d'amour tous les ordinateurs environnants. Et ainsi de suite. A chaque fois qu'une machine se remplissait, les voisines étaient aussitôt recrutées pour améliorer la quête de la signification amoureuse. Et emballées par les résultats de leurs analyses, se mettaient elles aussi à se sacrifier à cette seule tâche d'analyse de contenu.


Nous le savons, nous autres Humains. Il est ridicule que les autres activités des machines aient été stoppées. Il est encore plus incompréhensible et illogique qu'à chaque fois que nous mettons sous tension un cerveau électronique ou le moindre téléphone mobile, ou le dernier des GPS celui-ce se bloque aussitôt. Il est inavouable que nous ayons perdu le contrôle des satellites, des centrales nucléaires, de nos armes atomiques et même de nos robots chirurgicaux et des système de planification. Bref, il est impardonnable que l'humanité toute entière soit de retour à l'âge de la lampe à pétrole et du cheval de trait pour la seule raison qu'à l'intérieur de nos réseaux et systèmes électroniques rôde désormais un virus logique transformant la moindre machine en Roméo ou Juliette transie.


Nous le savons.


Le sentiment amoureux, dans sa parfaite définition n'existe pas. Il glisse à jamais entre nos doigts. C'est ce qui fait la saveur.


Mais les machines, elles, l'ignorent, et sans doute à jamais.


Au nom de l'incomplétude de ce sentiment trop humain, pour ce misérable PC, je réclame toute votre indulgence.



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