24.11.09

Non

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Il y avait le silence des premières neiges. Ce silence que l'on est assez heureux d'avoir vu revenir qu'on tente de le ménager. On y éternue avec respect.

Le jeune envoyé reposa sa tasse. Posé sur le coin du fauteuil, avec ses deux mètres repliés, il évoquait un criquet.

- Merci beaucoup Professeur. Excellent thé.

- Il faut partir, petit. La nuit va tomber. Je t'ai donné cinq minutes. L'hospitalité minimale lorsqu'un inconnu frappe à votre porte, au milieu des forêts.

- Attendez Maître, je dois vous remettre le pli officiel... Par principe.

- Officiellement je refuse. Et tes principes, je suis assis dessus. Et le chèque, ils peuvent le garder.

- J'aime cette franchise...

- Ne joue pas au finaud. Toi non plus tu n'en as rien à foutre de moi au fond et c'est normal. Tu n'auras rien de moi. Et je ne veux rien de toi, de vous, d'eux...

- Vous refusez...

- Tu vois, et je fume... Cela commence à percer la croûte de sel de ton cerveau.

- Je suis détruit.

- S'ils t'ont envoyé toi, tu te doutes, ce n'est pas parce que je n'ai pas le téléphone ni le réseau, encore moins parce que je vis au fond de la Finlande, dans la toundra. Ils savaient ma réponse. Ils avaient juste besoin, pour le principe, de m'adresser un blanc bec que je renverrai avec un coup de pied au cul tempéré par son innocence.

A la surprise du vieux chercheur, le jeune professeur de mathématiques de l'université retomba dans le fauteuil de cuir usé et éclata en larmes.



Ecoute, tu le savais en venant. Ce n'était pas la peine de faire ces heures de voiture sur les mauvais chemins, d'affronter les premières averses de neige.

- Je le savais.

Il en avait des spasmes.

- Mais c'est autre chose de le vivre, hein ?

- Prenez au moins le pli.

- Je refuse, je refuse, je refuse. C'est pas la poste restante ici. C'est un acte politique. je ne crois pas dans les organisations humaines, ni dans l'université, encore moins dans les honneurs suprêmes. La médaille Fields, c'est comme le prix Nobel. C'est le pire de tout.

- Je ne comprends pas.

- Personne t'a demandé ça.

- Ca m'aiderait...

- Désolé. Je suis pas là pour expliquer la vie et l'anarchisme à un petit mouton.

- Vous êtes celui qui a démontré la conjecture de Poincaré.

- J'en suis content, vous en êtes contents, mais nos contentements ne vivent pas sur la même planète, youpi.

L'insecte eut un autre quinte de larmes.

Le vieux se leva, le dos arrondi et tendit une boîte de mouchoirs comme un matelot blasé lance une bouée à une rombière de première.

- Arrêtes. Tiens, j'ai un scoop pour toi. Tu leur diras que j'arrête les mathématiques. Ce petit jeu m'a amusé. Ca me résistait. Ca va les dégouter... Mais là, j'ai envie de me remettre au piano. Je compte consacrer mes journées des dix prochaines années à la Tempête.

- Shakespeare ?

- Sonate 17, Beethoven. J'aime la musique expressive, la tension narrative. Mais je joue aussi Rachmaninov, si je veux m'épater...



Le criquet se re-déplia, attrapa son manteau. On pouvait constater par la petite fenêtre à croisillons, que la neige quittait le ciel pour ensevelir le monde.

Le jeune regarda le génial Grigor Pertman, pour cette fois presque dans les yeux. Entre les yeux.

- Une question, si vous permettez, Maître.

- Si tu bouges vers la porte.

- Pourquoi ?

- Quoi ?

- Demeurer loin du monde, refuser tout...

- Aucune importance.

- Ce n'est pas seulement politique.

- Tu partiras si je t'en dis un bout, camion de colle ?

- Et au moins une personne vous aura comprise.

- Je sais ce que tu manigances.

- Comment ?

- Au fond de ton sac, tu as préparé un appât, un irrésolu de Hilbert ou quelque chose de ce parfum. Tu guettes le moment pour me le balancer, tu espères que je vais commencer à tricoter maths avec toi et que nous allons devenir copains. Tu dois être le petit génie de l'université et ils espèrent me faire rigoler et travailler avec toi...

- Oui. C'est vrai.

- Viens là.

Le criquet suivit la chemise de bûcheron et le dos voûté dans la minuscule pièce de rondins qui servait de salle de bain. Il y régnait un froid de renne. Les narines fumaient.

- Regarde-toi dans la glace.


Le jeune mathématicien envoyé de l'Académie royale courut. Il courut en négligeant de refermer la porte, il courut dans la neige silencieuse et pria que son véhicule démarre. En braquant ses roues il dérapa et faillit enneiger la voiture de location. Il fit hurler le moteur pour se dégager puis disparut dans le crépuscule.


Devant le miroir Grigor Pertman se redressa, enleva ses vieilles lunettes et son bonnet et recoiffa sa barbe. Il détestait faire négligé. Etait-ce de sa faute si en se coupant du monde on vivait lentement et que dans ce miroir cela se voyait à l'oeil nu ?


©PL

1 commentaire:

Anonyme a dit…

pourquoi pas:)

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