Nouvelle ©PL
On attache rarement une vache avec de la paille. Mais un homme par ses rêves oui. Voila la sentence qui jappait sous mon crâne, et il faisait encore bien noir et demain non tout à l'heure déjà je serai heureux au point de ne rien sentir de ma nuit sans une miette de sommeil.
Un chien aboyait. Quelques coqs répondirent. Je ris pour ne pas les maudire et me levai me disant que le moment était dans mes mains et qu'il me fallait remuer ma carcasse. Le temps était venu et que de toute manière cela réchaufferait ma vie. Pourquoi cette peur idiote ? Cela serait une preuve de quelque chose que je pourrai prétendre avoir fait avec ces bras et ces jambes, même si je n'étais pas encore ni bien lourd ni grand. J'attrapai le sac où j'avais tout entreposé. Je l'avais caché sous l'escalier avec les toiles d'araignées. Je sortis et cela battait contre mes genoux, avec des cling et des clong de quelque chose de trop grand pour tout ce silence qui m'entourait.
Dans le jardin les arbres se découpaient sur les étoiles et me regardaient. Penchés et curieux. La foule endormie d'un théâtre où l'on aurait oublié de réveiller les spectateurs, de les prévenir que la pièce allait enfin être donnée. Sur des pierres je suis tombé et j'ai failli tout renverser. Comme j'étais déjà loin de la maison j'ai fait le malin et insulté les cailloux. Tu parles j'avais le coeur qui sifflait de ne rien savoir de ce que j'allais découvrir en moi.
Mandikar n'est pas grand. Minuscule même. Un hameau sur la rive du Gange, non loin de de Sanodha. Vu du ciel nous ne sommes qu'une poignée de sable. Alors ils sauraient tous, dès demain.
Je marchai. La rivière était loin. Mais avec toutes ces pensées qui bavardaient en moi je ne sentis pas la longueur ni les épines du chemin. Lorsque j'arrivais au bord de l'eau le Gange était un ruban tellement noir qu'il en était comme creusé dans la terre. Le four de la briqueterie fumait, par sa longue cheminée à la pointe effondrée, dent noire dans le noir, il y avait quelques lueurs et des escarbilles qui volaient. Moins que d'habitude.
Peur oui, accroupi de peur. Tremblant sans sueur. Et après se moquerait-on de moi, me montrerait-on comme celui qui n'écoute que son oiseau du ventre et sa folie ? Ou alors était-ce parce que je n'avais jamais senti ça en moi ? M'importait-il ? Ils pourraient me mettre aux champs ou me faire garder les vaches. Ils pourraient tout.
Adrika habitait avec ses parents et quelques cousins. Dans cette longue bâtisse découpée en chambres, du côté des tas de briques attendant d'être cuits. Une maison faite autrefois pour abriter des ouvriers. Les dalits de basse caste dormaient plus loin, sous des cahuttes. Sa famille possédait une villa, dans les collines. L'air y était meilleur et j'imaginais des vergers et des chevaux. Son père n'était pas souvent là. On disait que le riche fabricant vendait ses briques jusqu'à Bhopal, et qu'il avait des commandes du gouverneur. Adrika le plus souvent dormait ici, dans la semaine, pour aller à l'école. Elle disait que les briques de son père étaient les meilleures. Qu'elles sonnaient comme le métal.
Je commençais ma construction.
Ce n'était pas très difficile mais dans le noir je ne voyais presque rien et je voulais que cela soit réussi. J'étendais les guirlandes le plus haut dans les arbres.
J'ai du prendre plus d'une heure et j'étais heureux que les chiens me connaissent. Ils ont à peine aboyé. Mais j'ai du me battre avec eux pour leur reprendre des ornements qu'il avaient dérobés.
Je me suis dit que je pouvais rentrer aux premières couleurs du ciel. J'avais fait ce que j'avait décidé de faire. C'était dans l'ordre de mes idées et j'étais apaisé.
Dans la glaise du chemin du retour je pensais que les télescopes récoltent la lumière des astres et de toutes sortes de splendeurs de l'univers. Que dans nos creusets brulants nous jonglons avec la mort et la vie de ce que nous dévorons et attendons de voir germer des créatures qui toute leur vie nous serviront. Des gestes que nous cultivons depuis tant d'empires effondrés et de civilisations englouties qu'à présent nous sommes certains d'être éloignés de toute sagesse. Nous ne faisons qu'attendre notre dû, sans la moindre satisfaction d'être là où nous sommes.
Et moi que ferai-je de ma vie ?
Je contemplerai Adrika allongée. C'est stupide mais vrai. Son corps à mes côtés, dans la lumière adoucie, suffira à tout. Ses cuisses ouvertes à mes paresseuses hésitations de désir. Tout, de l'écorce rugueuse des arbres aux parfums des vins, sera alors comme entré en nous. Des ombres, des ombres et des ombres. Et juste ce qu'il faut de lueur.
Sans moi respirerait-elle ?
Le lendemain, rien ne se passa.
Rien du tout.
Je trainais dans le village et finis par croiser le raccomodeur de chemises. C'est lui qu'il fallait questionner. Le grand clou tout croûté me regarda comme si j'étais un diable et dit :
"c'est toi le nigaud qui a mis ces guirlandes de Noël anglais, en écrivant des stupidités de mots d'amour ? Ils sont partis. C'est une honte. Partis et qu'ils aillent jusqu'en Chine". Et cet imbécile cracha à mes pieds, comme mu par un ressort de fer.
Je n'osais rien dire et plusieurs jours évitait les regards.
Par la suite je finis par apprendre. La briqueterie avait été assiégée par les paysans qui reprochaient au père d'Adrika d'affamer le village. Que les arbres de la région dans ses fours étaient partis en flammes, qu'il achetait l'argile pour une misère, le plus souvent sans payer, et que la terre en devenait si stérile que bientôt on serait obligé de dévorer du sable.
Les parents et tous avaient fui, avec la terreur d'être poursuivis.
Et cela sans doute une heure avant que j'écrive avec mes guirlandes, dans le noir, tout mon amour d'Adrika.
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