18.9.09

Lopez, ange du littoral

Emmanuel Lopez, disparu cette semaine, directeur du Conservatoire du Littoral était devenu un ami. Son action pour préserver le littoral, la délicatesse et la force de son action ont réconcilié les Français avec la partie la plus exposée, et combien souvent maltraitée de leur espace naturel.

foto Var matin

Emmanuel a accompli presque toute sa carrière au Conservatoire, avec une parenthèse de dix à la tête du Parc de Port Cros. C'était à cette occasion que je l'avais rencontré, puis publié cet article dans le Figaro (2003)


S’il fallait une démonstration du succès des parcs nationaux sur ce plan, Port-Cros est là. Une symphonie, un sanctuaire de la nature où la beauté est un coup de poing. Il vous arrive au ventre dès que la navette, un gros bateau ventru et rouleur, pivote dans l’émeraude liquide pour accoster . Alors l’image, le son et la pluie de lumières et d’odeurs vous laissent sans voix. Bien plus petite et sauvage que sa sœur Porquerolles, cette île de la rade d’Hyères (Var) devint avec la Vanoise l’un des deux premiers parcs nationaux français, peu après la fameuse loi de 1960. Ici la forêt a reconquis les sept fermes et domaines et les usines (de soude) abandonnés depuis un siècle par les hommes. Oubliés les jurons des barbaresques et des pirates qui y firent escale jadis, les canonnades du débarquement de 1944. La seule respiration ici, le soir venu, est celle du vent. Le dernier bateau emporte les touristes du jour vers 18 heures. Alors les chemins creux aux odeurs de sables, de chênes et de pins sont à nouveau déserts. C’est l’heure pour escalader le Mont Vinaigre ou se perdre dans le Vallon de la Solitude. Seuls les îliens, et leurs rares hôtes (les capacités d’hébergement sont très limitées et les navires ne transportent que 2000 personnes par jour) entendent alors rigoler les grenouilles et pleurer les tamaris. Oliviers, bruyères, myrtes et lentisques font un univers peuplé de lézards rares et d’araignées connues de quelques spécialistes. Survivent ici des espèces endémiques, qui ont échappé à la dernière glaciation, il y a des dizaines de milliers d’années. Et les terriers des puffins cendrés, ces oiseaux aux cris de bébés, sont scrutés par des caméras, histoire de voir si rats ou chats ne vont pas commettre quelques festins interdits…

Sous la surface les espèces se bousculent aussi. Les zones interdites à la pêche et aux mouillages, et par là aux ravages mortels des ancres de milliers de plaisancier amoureux du site ont été ménagées. Du coup, si l’on met la tête sous l’eau, le contraste est saisissant. Ici la forêt d’algues, des herbiers de posidonies nourricières, et là un tapis de sable et d’algues mortes, désarçonnées, arrachées au fond. Et dès qu’un gros yacht de milliardaire battant pavillon des Nouvelles Hébrides vient promener son ancre gigantesque, les gardes du parc multiplient les rondes d’habitude consacrées aux braconniers…

Port Cros a démontré que la sauvegarde était possible. Le roi mérou, quasiment exterminé, y est revenu en abondance, le travail de suivi de l’équipe de Philippe Robert (groupe d’étude du mérou) l’a montré, la murène et la cigale de mer aussi… Et il suffit aujourd’hui de mettre la tête sous l’eau pour faire la fête avec les poissons, comme le long du sentier sous-marin de la Palud, la plage du nord de l’île.

Ce trésor a un prix. « Ici, tout est interdit », ronchonne un commerçant du port. La liste est longue. Sont interdits : de faire du feu, de fumer, de camper, de faire de la moto ou du vélo, de faire du bruit, de laisser des déchets, de promener son chien, même en laisse, la cueillette, la pêche sous-marine, à pied sur une large zone, l’accès interdits à certaines zones, comme l’île de Bagaud, juste en face du port, qui sera bientôt classée réserve intégrale.

Et l’on s’en doute, les interdictions ne vont pas sans frictions…

Il y a quelques jours, sur le port. L’un des jeunes stagiaires du parc saisit le mégaphone et d’une voix timide demande à quelques baigneurs d’aller faire trempette sur une des plages de l’île, loin des quais et des hélices des navires…

Un restaurateur, en train de déménager du fret sur le quai lui répond fort élégamment, sans mégaphone, mais avec le même volume sonore « Ta gueule,… laisse les se baigner où ils veulent… » Ambiance.

Sur la vingtaine d’habitants officiellement recensés, certains « anciens » seraient ainsi éternellement « mécontents », estiment les autres, arrivés plus récemment et donc plus favorables au parc. Les uns seraient prêts à s’insurger à la moindre fermeture, à la moindre menace de restriction. Et flirtent avec les interdictions, remplaçant les voitures par des motos à quatre roues. Les autres reconnaissent les privilèges que leur confère l’existence de cette zone protégée, et trouvent que les réunions annuelles de concertation, ou les déjeuners rituels l’hiver, qui rassemblent tous les habitants et résidents, sont des lieux d’échange bien suffisants.

« On met de la souplesse dans le système et on autorise pas mal de choses aux habitants de l’île. C’est comme avec les touristes ou les plaisanciers, où les pêcheurs, toujours on explique. Mais s’il faut sanctionner on le fait aussi… » précise Hervé Bergère. « Mais il faut qu’ils admettent vraiment que si leur île est préservée, c’est aussi parce que des règles draconiennes ont été fixées voilà 40 ans. Sinon, ce serait comme en face, à l’Ile du Levant, ou au Lavandou, avec des immeubles dans tous les sens, une nature au rabais, pas un seul poisson dans l’eau… »

Certains avocats du parc échafaudent des théories plus rudes. A leurs yeux certains habitants de l’île seraient bien davantage préoccupés de faire fructifier leurs petites affaires. « Ils sont déjà assis sur un tas d’or, mais ils en veulent toujours plus », lâche un ancien, joueur de boules. « Sont-ils crédibles quand ils proposent des pétitions, des protestations contre les contraintes, alors qu’il n’arrêtent pas d’enfreindre les règles, de jouer double jeu », souligne une serveuse. Et l’on souligne au passage que telle forte tête qui revendique une liberté de pêche et d’accès à toutes les zones de l’île a été pris la main dans l’amphore, en train de remonter discrètement d’antiques souvenirs sous-marins. « Et encore, on ferme les yeux, dit un garde, car si on était vraiment service-service avec les pêcheurs ou certains habitants, on n’arrêterait pas de dresser des PV ». Justement, à force de taquiner les règles, un des pêcheurs de la côté devrait bientôt être interdit dans la zone…

Emmanuel Lopez, le directeur du Parc, se veut conciliant. « Et d’ailleurs je considère que le rapport Giran va vraiment dans le bon sens. Une plus grande implication des populations, des responsables locaux, des collectivités locales est indispensable. Mais il est vrai que ces équilibres sont fragiles, et il faut avancer prudemment, les parcs ne doivent pas non plus devenir des paravents, qui cacherait une défense de l’environnement misérabiliste ».

«Il n’y a que les caractères forts qui survivent dans les îles… Il y a toujours eu des conflits et des procès ici, comme si l’île portait la poisse aux gens, malgré toute cette beauté », constate Pierre Buffet. A 72, portant haut le verbe et la culture, le patron du Manoir, l’hôtel de charme de Port Cros est aussi l’adjoint sur l’île au Maire de Hyères. L’héritier de Marceline Henry, se souvient de la phrase de sa grande-tante, découvrant l’île. Elle voyageait avec son amant et câbla à son mari : « Je suis avec Jean au Paradis. Viens nous rejoindre… ». Cette visionnaire de la nature, inquiète quand au destin des lieux que fréquentèrent Valéry, Paulhan, Aristide Briand, légua une grande partie de l’île à l’Etat, et convainquit Malraux, qui expédiait ici ses enfants en vacances, de lancer la procédure de création des parcs nationaux. « Il y eut d’abord une période très dure de révolte contre le parc se souvient Pierre Buffet. Mais depuis 10 ans il faut bien dire que même si les habitants râlent beaucoup, surtout quand on leur enlève quelques privilèges, ils ont compris tout l’intérêt qu’ils avaient à jouer le jeu. Et sur le fond, il faut être clair. Même si le parc a parfois commis des maladresses et erreurs, il a su garder l’esprit des lieux. On ne peut vraiment pas s’en plaindre. L’Etat a une volonté et des moyens que n’ont pas les particuliers. Sans le parc, cela aurait été la gabegie ici comme ailleurs sur la côte».







Encadré

Pourquoi des parc nationaux

(Questions à Emmanuel Lopez, dircteur du parc national de Port-Cros)


Il y a un mot qui fait peur, et qui blesse. C’est celui de réserve. Personne ne veut devenir un autochtone « conservé » dans sa réserve. Ce cliché a-t-il vécu ? Emmanuel Lopez, directeur du Parc de Port-Cros, insiste pour expliquer qu’un Parc, même avec des règles très strictes de protection du milieu et des espèces, doit préserver les ressources naturelles, mais aussi les activités humaines.


Est-ce que vous «gelez» les espaces ?

Clairement non. C’est une vision passéiste. La protection a un prix, il y a certes des contraintes. Mais notre vision n’est pas fixe, et le texte fondateur des Parcs nationaux français nous demande de préserver à la fois les caractères humains et naturels. Il y a un siècle Port Cros n’avait pas de forêt, le bois y a était exploité comme charbon, et pour alimenter l’usine de soude. Aujourd’hui la forêt méditerranéenne est revenue et nous montre comment ces espaces deviennent si l’homme y intervient très peu. Mais tous ces territoires sont en mouvements. Les activités de nature, de tourisme, de plongée sont florissantes sur l’île, et les pêcheurs sont ravis de voir la faune et la flore revenir sur le littoral grâce à nos actions. Notre métier n’est pas de figer les choses, mais de préserver des trajectoires humaines, des richesses naturelles quand elles sont jugées intéressantes. Nous passons des compromis. A Port Cros les zones de mouillage existent, mais elles sont limitées. Pour éviter que les plongeurs soient trop nombreux et massacrent les fonds, nous avons passé des accords avec les clubs. Les pêcheurs aussi ont été associés à la réglementation, par une charte



Est-ce que tout doit passer par l’Etat ?

Il y a un équilibre à trouver, mais la démarche de l’Etat, j’aimerais plutôt parler de la Nation est une démarche forte, qui permet de créer des territoires de référence et de les faire durer dans le temps. Mais les régions, les collectivités locales, les entités professionnelles doivent jouer un rôle croissant. On ne fait rien contre les hommes. A nous de convaincre que les contraintes d’un parc en valent la chandelle, que des plages sans baraques à frites, sans crottes de chien, sans douches, et saupoudrées d’algues sauvages à l’ombre d’arbres centenaires peuvent être une source de richesse. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est que l’Etat masque la noblesse de sa mission par un discours hautain, moralisateur ou méprisant.


On parle de sanctuaire de la nature. Le mot est fort, non ?

On peut presque dire que ce sont des lieux de spiritualité laïque,. Les espaces naturels attirent du monde au fur et à mesure que les églises se vident, d’une certaine manière. Je crois que les peuples ont des relations très différentes à la nature, selon leur culture, leur histoire, leurs croyances. Mais la nature, les paysages appellent un discours politique très fort, qui n’est encore, dans notre pays, qu’à ses premiers pas… Je regarde souvent les gens qui reviennent de Port Cros. Ils ont l’air heureux.

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