Nouvelle (Les peuples du Temps/Premier livre sur III)
©Textes et photosPL
Version brute (telle que twittée en nov et déc 09)
1/J'étais assis dans le noir, un morceau de lune dans l'oeil. Tu as autre chose à me dire ? demanda le bout rouge de sa cigarette.
2/-C'est la bonne heure, c'est à moi ? -Il n'y a pas d'autre règle. Une main vint sur mon épaule. Les doigts disaient ne sois pas inquiet.
3/Jusque là je n'avais répété que des formules convenues. Rien d'important. Que devais-je dire ? Dans quoi me lancer ? Ma bouche était vide.
4/Les premières fois j'étais venu avec le vieux. Il ne disait rien. Moi non plus. Il était entendu que nous ne devions prononcer un mot.
5/ Une fois, à l'écoute d'une voix rauque de femme, une voix où l'on ne pouvait qu'entendre la faim, et la sécheresse, j'avais soupiré.
6/"Idiot ! Même si l'infini nous inflige toute sa foutue lumière, tu dois te taire" avait-il craché, sur le chemin du retour.
7/Peu après il disparut. Le soir où je compris, je lançai des bois enflammés vers les étoiles, comme nous le faisions lorsque j'étais gosse.
8/Je finis par retourner jusqu'à la falaise. Dans la nuit je me faufilai parmi eux. Peu à peu, au fil des mois leurs mots prenaient sens.
9/De quoi parlaient-ils ? Le premier récit que je saisis était sombre et sanglant. Une cité en flammes, un peuple se vengeant de son prince.
10/Une autre nuit fut une succession d'hypothèses sur l'origine du sel. Quel ennui. Celui qui récitait était tout enivré de ses paroles.
11/Je n'en pouvais plus. La fois suivante, je pris du sable. Je le jetai sur l'assemblée en hurlant que le sable et le sel n'étaient rien.
12/Une brume légère montait de la mer. Pas une des ombres ne prononça un mot. Le lendemain un oncle vint dire que le soir ce serait à moi.
13/Le moment est venu. Sa cigarette s'est éteinte. Je me lève. Le mystère nocturne fait de nous des oiseaux glissant à travers le silence.
14/Quelque part, un rire. Soudain je comprends que le moindre mot ici prononcé pétrit la vie. L'ironie, mon bouclier, est à mes pieds.
15/Parmi les éclats du coeur de la nuit, une première mélopée quitte mes lèvres. Mon chant parle des nôtres, de l'incertain à venir.
16/De la glace s'abat. Des mouvements, des soupçons. Le cercle se défait. Qu'il se taise ! Deux obscurs m'arrachent au chemin de ma voix.
17/Bâillonné, emporté, me voici enfermé dans un réduit. Un cheval galope au loin. Le sol en frémit. J'attends et l'on ne m'explique rien.
18/Que n'ai-je lu dans les constellations ? Qu'ai-je chanté qu'il fallait étrangler ? Mes seules réponses : le silence des rats.
19/Seul jusqu'à la quatrième aube. Jusqu'à ce que de l'autre côté du mur un frisson murmure. - Nous sommes avec toi ! - Qui cela ?
20/On me passa de quoi me désaltérer, m'alimenter. Je ne pus distinguer qu'un seul homme. Jamais je crois je ne l'avais vu dans nos cabanes.
21/Lui semblait me connaître. Il puait la vache et défaisait mes liens. - Tu veux parler ? Les mots ne sont pas des poissons de sable.
22/Sur le retour le seul à venir me parler fut le Pantin. Ce sac d'os ne levait les yeux vers personne, s'acquittait en louant son âme.
23/- Ecoute, (sa voix rampait) personne ne m'a chargé de te parler. Alors un conseil de camarade. Ne retourne jamais aux Nuits des Paroles.
24/- Quel acide me répands-tu ? - On y gémît que les langues des tiens ont comploté toujours. Et que plus sournois, tu restaures le chant.
25/ - Comploter ! Ha ! Pourquoi pas mais contre quoi ? - Votre sang serait le poison des Paroles. - Qui dit cela ? - Que me donneras-tu ?
26/Dans le creux du bras dormait un animal. Long et velu. - Que veux-tu? - Je suis seul. Tu serais mon frère. - Bon dis-moi qui m'accuse.
27/ -C'est le Mat, qui d'autre ? (Il caresse sa bête) Il t'adore jusqu'à t'ouvrir le ventre. -Ca ne m'effraye pas. -Tu es plus fou que fou.
28/Une journée en besognes. Encore refaire le toit. Mais je ne pensais qu'à ça. Trouver le Mat. C'était la faute qu'ils attendaient de moi.
29/Je ne fis que le sabrer du regard, de loin. Alors à ma place ils convoquèrent l'enfer. L'incendie ravagea nos huttes un petit matin.
30/Sous les nuages dans ses larmes ma soeur rompit le silence : - Tu as parlé des choses à venir. Pour chacun tu n'as pas mérité de naître.
31/A venir ? Ma soeur ne voulut rien ajouter. Je sentais l'écho de sa douleur. Le futur. Ce qui advient demain était interdit de mots.
32/Le Pantin fut le seul à nous aider. Sauver nos affaires, trouver un abri. -Pourquoi personne ne m'a averti ? -Le vieux l'avait interdit.
33/Cannibales! Que reprochez vous au futur? Il me fallait éventrer cette imposture. Questionner ceux des Nuits et par la force s'il fallait.
34/Pouvais-je briser l'eau et vaincre leur peur? Ma folie à deux mains devint de les faire avouer. Leurs silences tuaient les miens.
35/Nos mains étaient plus en colère que nos pensées. Le soleil couché, sur le chemin nous les attendions. Notre vie ne valait-elle la leur ?
36/Le Pantin nous guida. Certains s'échappèrent. Ceux que nous tenions furent soumis à la question. Qui étaient-ils? Pourquoi leurs lois ?
37/L'atroce fut que j'aimais le faire. J'adorais leur souffrance! Ivre de force soudaine, je découvrais le pire: la vengeance des humiliés.
38/Ce que j'appris? Mitra, le vieux d'un autre clan me dit que mots et tournures pour parler du futur étaient bannies à cause des femmes.
39/Des mères auraient jadis conçu qu'avec les enfants elles possédaient chair sang et futur. Elles réduisirent les mâles à de pâles hochets.
40/Ma soeur dit qu'il s'agissait d'un racontar. Mensonge de mâles. Des femmes tenant le pouvoir l'auraient-elles interdit à leurs fils?
41/Cela ne tenait pas. Trop de haine en eut résulté. La haine. Ce reproche que l'on inflige aux autres par terreur de se trouver face à soi.
42/Après ce mensonge d'autres vendirent leurs langues. Futur était interdit car des pires charognes il fut père. En son nom régna la peur.
43/Nos futurologues prétendaient lire les chiffres et nous sauver. Effroi guerre et néant. Voilà les hordes que convoquèrent ces ignorants.
44/Des savants avaient-ils enflammé le monde ? Et comment ? Mes alliés me quittaient. Nos persécutions ne raflaient que fumées et rumeurs.
45/Ma défaite fut complète lorsque l'on découvrit le Pantin. Son corps mordu par un serpent. Par ici on respire donc moins que l'on ment.
46/Le Mat vint avec des pierres et la colère de tous ses chiens. Mère et soeurs me firent fuir. Dos à la mer. T'évanouir dans la poussière.
47/Leurs cris: ils me veulent crevé. Vers le désert ma course me laissait moins que la vie. A chaque foulée un rêve ou serment me quittait.
48/Un de ceux qui m'avaient aidé me retrouva. Avec de l'eau et des dates. - Ces imbéciles t'attendent côté mer. Fais du désert ta maison.
49/Ils avaient raison. Pourtant quitte-t-on son coeur ? Il fallut des lumières et du vacarme sur ma trace pour qu'aux ténèbres je m'offre.
50/Même loin dans la nuit je le voyais. Un cercle d'étoiles me désignait mon village. De toutes mes années la brise de mer portait l'odeur.
51/En dépit de ma terreur mes jambes avançaient. L'absence des miens me dévorait. Qu'étais-je dans cette obscurité poignardée? J'étais seul.
52/Quel est le nom de l'aube? Fuir et quoi? Oublier l'écume sous la barque de mes mains? Rire du sang du rêve du baiser qui m'a fait naître?
53/Depuis des nuits je ne lèche que des cailloux. Sur mes lèvres la sécheresse de mes regrets. Je marche. Je marche en rêvant de sommeil.
54/Le Mur. La montagne que personne n'avait franchie. Entre ses rocs, une blancheur froide et glissante. Mes mains la changeaient en eau.
55/Les boucs me fuyaient. Rapaces et loups m'ignoraient. Seules les épines mordaient. Mon âme était-elle à jamais perdue parmi ces sommets ?
56/Dans ce froid les brumes et les jours ma fuite n'était plus rien pour moi ni pour personne. Etrange. Cela commençait à ne plus me peser.
57/Devant moi une roche penchée en toit. Je me glissai, les yeux fermés, ébloui de couleurs. Mon cuir traversé des respirations de ma vie.
58/L'heure m'était tendre. Seule blessure à cette fin: quitter flots, airs, rocs et feux sans avoir su serrer une autre que mes soeurs.
59/Je me quitte, vaincu honorable. Ma viande est terre et ceci fut la stupeur de ma vie. Est-ce dans ce tiède sommeil qu'attend le mystère?
60/Une créature, une bête rampait, pressée de me dévorer. A l'aveugle un épais liquide s'écoula sur moi. L'on dit: "Bois. Demain tu verras".
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