L'anniversaire du "mulot", la souris de nos ordinateurs (sur le blog Transnets), 40 bougies, paraît-il (voir notamment la fameuse conférence de 1968 !), m'adresse une question à propos de nos chers objets. D'aucuns ne disent-ils pas que nous serions déjà leurs créatures ?
Nous nous échinons ainsi depuis quelques millénaires à faire du monde une mythologie des outils. Une forêt peuplée à notre main : branche, silex, roue, tablette, parchemin, Ipod. A nos mains et fantasmes. Une colonie de prolongements dont nous rêvons parfois, lorsque nous avons trop fumé d'herbe ou trinqué au mezcal, qu'ils deviennent d'autres "nous" puis se révoltent et s'en prennent à nous. (Matrix, I Robot, I.A. etc....).
On emballe tout cela aussi sous le label de "progrès". J'y reconnais (dans ce label) aussi, notre désir de voir ces automates, par leurs présence rassurante, résoudre tensions, craintes, angoisses, et autres vertiges que nous entretenons à l'égard de ce monde immense et vide.
Le bâton rassure la main du marcheur. Dans notre métaphysique il s'agit désormais d'une armée de Golems. Une esclave cohorte électronique, destinée à entretenir la flamme de notre désir du monde.
Posséder, c'est exister. Posséder plus, ...
Un déséquilibre vers l'avant, la croissance, l'innovation. Un état de manque, une galopade "techno" sensée transformer le monde par l'outil, le conduire à coups de tonnes de TNT, d'acier, de cargos de portables, de béton, de barrages, d'avions chargés de laptops plus et mieux vers un état idéal. Un état que notre univers n'aurait jamais dû quitter.
On pourrait se rapprocher ici d'une "fonction" chrétienne du progrès.
Un lien avec le progrès ? Comment cela ?
Ce soir sur Arte, l'excellente série consacrée au premiers siècles chrétiens rappelait comment les gnostiques avaient perdu leur partie, entre le Ier et le IIème siècle. Les écrits d'Irénée de Lyon établissant leur hérésie.
Pour le chrétien le chemin de la foi doit conduire vers l'Apocalypse (au sens premier, la Révélation). Une course vers la perfection au terme de laquelle la Jérusalem d'Or sera reconstruite dans sa perfection, les compagnons du Messie reçus en une demeure d'où le mal sera exclut.
Sans parler d'exégèse plusieurs interprétations de l'Apocalypse ont co-existé.
Les hérétiques de la Gnose concevaient le monde comme une abomination, une erreur. La création d'un dieu inférieur (démiurge) et toute livrée au mal. Il s'agit de s'échapper de cette prison par la connaissance (la gnose), seule capable de les rapprocher de dieu. Pour les gnostiques la réalité est extérieure à l'homme, secondaire. Un monde mauvais par essence ne saurait se voir transformer. L'homme doit chercher son élévation et le bien par la connaissance.
Pour les chrétiens orthodoxes au contraire l'homme est partie du réel. Le monde a certes été corrompu par le démon. Mais il peut et doit être transformé dans l'attente du Jugement dernier. Dans l'attente, par son labeur, sa sueur (et l'outil !), l'homme améliorera le monde. Il en fera le jardin du bien, ce qui précipitera l'issue, l'Apocalypse, la réconciliation de la créature avec son dieu.
Transformer le monde. Le sauver par le geste et l'objet...
Il ne s'agit pas de soutenir que le monde chrétien distillerait une influence purement "matérialiste". D'une autre vie il me semble me souvenir de voûtes résonnant de sermons exigeant le contraire.
Pourtant dans sa définition de l'objet et du sujet, dans son ouverture mythologique, dans son attente de la Révélation au sein d'un monde "amélioré" dont les démons auraient été bannis, rien ne s'oppose dans le propos chrétien au déferlement des objets et de l'invention. Au contraire.
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