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Saul Perlmutter Nobel
in "Le Figaro", 12/04/1999
A plus de 5 milliards d’années-lumière, des étoiles nous disent qu’une force inconnue est à l’oeuvre, qui accélère l’inflation du monde. Et en gonflant, l’univers est en train de perdre sa matière.
Le cosmos a changé. Il va peut-être falloir réécrire des pages entières des livres d’astronomie. Il y a quelques mois, les résultats de deux équipes internationales observant des étoiles explosées, de lointaines supernovæ, ont dévoilé un phénomène inconnu à l’échelle de l’univers. Une mystérieuse énergie du vide, produisant une force répulsive accélérant l’expansion de l’univers, aurait été détectée. Le plus étonnant, c’est qu’Einstein avait indirectement anticipé cet effet dans ses équations. Après une période de scepticisme, peu à peu les physiciens commencent à adhérer à la trouvaille. Stephen Hawking, célèbre astrophysicien britannique, a tenu à préciser il y a quelques jours que s’il avait d’abord réagi par l’incrédulité, il a évolué et estime désormais que les résultats des deux équipes au travail sont suffisamment bons pour que la question de la « constante cosmologique » soit posée. Non seulement le vide ne serait pas vraiment vide, mais l’expansion du cosmos serait en pleine accélération...
Les lèvres de Saul Perlmutter laissent fuser les mots à la même vitesse que Woody Allen. Le physicien ressemble d’ailleurs un peu au cinéaste au front dégarni... La différence, c’est que lui ne s’étend pas sur ses états d’âme sentimentaux, mais dirige une équipe d’un temple de la physique, le Lawrence Berkeley Laboratory, sur les hauteurs de la baie de San Francisco. Et en attendant un éventuel prix Nobel, son obsession niche du côté des étoiles...
« Oui, bien sûr, c’est incroyable. D’ailleurs, notre priorité, en ce moment, c’est de vérifier, de refaire des mesures. Nous avons aujourd’hui observé et mesuré une vingtaine d’étoiles à grande distance... Et un groupe concurrent en a une quarantaine. C’est un joli palmarès, qui nous rend confiants... Bien sûr, il aurait été fou de croire, il y a vingt ans, que nous pourrions faire de telles mesures... Mais aujourd’hui, nous y sommes. Nous mesurons l’univers... Et si nous ne nous sommes pas trompés, si ceux qui ont mesuré les étoiles proches, de référence, ne se sont pas trompés, et si les lois de l’univers sont partout les mêmes, alors on peut dire que nous avons mis le doigt sur un sacré phénomène... »
Tout en racontant une énième fois l’affaire de la force mystérieuse du cosmos, les yeux pétillants de Saul avouent que ses neurones dopés à l’enthousiasme planchent simultanément sur Dieu sait quoi d’autre... une équation d’Einstein peut-être...
L’idée est belle et simple, comme toutes les grandes idées. Pour observer loin, dans l’univers, il faut prendre de gros télescopes, des machines à ramasser la lumière des étoiles les plus distantes. Pour observer plus loin encore, l’astuce des astronomes, depuis le début des années 90, est de suivre le comportement des galaxies, des groupes de centaines de milliers d’étoiles, ou alors de tenter de repérer non pas des étoiles, mais un moment précis de la vie de certaines d’entre elles : leur agonie. Car c’est en explosant dans une gerbe d’énergie que meurent certains soleils. Et parmi ceux-là, certains forment une catégorie précise, une bénédiction dénommée « 1 a » dans le jargon des astronomes. Ils ont la particularité d’être à la fois excessivement lumineux (un éclat équivalent à des centaines de milliers de soleils), mais aussi d’émettre toujours exactement la même quantité de lumière.
Stratagème
Le point sombre, c’est que ces étalons, ces métronomes de l’espace sont de rares diamants. Un par galaxie et par siècle. Perlmutter et ses collègues ont alors mis au point un stratagème qui réclame les moyens les plus colossaux, et mobilise les ressources d’observation du ciel avec des impératifs ubuesques. Phase un : photographier, dans l’obscurité de la nouvelle lune, des centaines de régions du ciel. Et cela avec des caméras électroniques spéciales, à très grand champ, capables de tirer le portrait de dizaines de milliers de galaxies déjà placées aux limites de l’observation. Phase deux : reprendre, trois semaines plus tard, dans le noir de la nouvelle lune suivante, exactement les mêmes images. Phase trois : passer immédiatement ces photos sur des ordinateurs géants pour détecter, par soustraction, l’éclat final de supernovæ ayant éclos dans l’intervalle de ces trois semaines. Puis, très vite, tant que la lune est encore faible et n’éblouit pas les instruments, obtenir de pouvoir braquer les meilleurs télescopes, le géant de Hawaï ou même le télescope spatial Hubble, sur ces lumières éphémères, pour les enregistrer, en mesurer, en analyser les précieuses caractéristiques (spectre). Comme on a mesuré la quantité de lumière qui parvient de ces étoiles, il est possible d’en déduire la distance...
Dans un premier temps, Perlmutter et ses amis s’attendaient à pouvoir ainsi simplement améliorer les mesures de certains paramètres clefs de l’univers, comme la densité de matière présente dans le cosmos.
Mais les résultats ont coupé le souffle des observateurs. D’ailleurs, au début, en 1993, on n’y croyait pas, tant le canard semblait énorme... Car le problème, c’est que les astronomes s’attendaient bien, avec ces chandelles de l’espace profond, à observer un ralentissement de l’inflation de l’univers. Pour eux, depuis le big bang, il y a une douzaine de milliards d’années, le cosmos gonfle. Mais la gravitation, la force qui attire la matière vers la matière, les pommes vers le sol et les galaxies vers les autres galaxies, doit peu à peu diminuer la vitesse de cette expansion. C’est la décélération de l’inflation du cosmos. Et les supernovæ que l’on observe dans le ciel profond doivent bien évidemment obéir à cette loi.
Surprise : Perlmutter et ses collègues constatent qu’il manque entre 10 et 15 % de la lumière prévue pour ces étoiles explosées. Comme si elles étaient plus loin que prévu. Et c’est du « béton » : les observations de l’équipe internationale associée à Perlmutter (Supernova Cosmology Project) sont confirmées par celles d’une autre équipe, concurrente et centrée en Australie (High Z Supernova Search).
Quelques mois durant, les dents grincent et les sourcils des « chers collègues » se froncent... Une puissance inconnue dans le cosmos, une cinquième force, répulsive, qui accélérerait l’expansion du monde...
Que se passe-t-il ?
Petit retour en arrière... L’univers tel que se le représentent les astronomes et les physiciens sort tout droit des équations d’Einstein sur la relativité générale, et plus précisément des solutions possibles à ces équations. C’est ici que l’affaire se complique, car il y a quantité de solutions possibles, selon les valeurs que prennent divers paramètres. Dans ce fourre-tout, on trouve la densité de matière présente dans l’univers, la vitesse de fuite des galaxies sous l’effet du big bang, la décélération de l’expansion (la force de gravitation freine la fuite des galaxies), et une constante qu’avait introduite Einstein dans ses formules. Lambda, cette constante cosmologique « inventée » par Einstein dans les années 20, devait favoriser l’émergence d’une solution d’univers « stable » aux équations de la relativité, à une époque où l’on était persuadé de voir l’univers comme une créature statique.
Mais en fait, selon les valeurs que prennent les divers paramètres, trois familles de solutions aux équations d’Einstein sont possibles. Par exemple, si Oméga (la densité de matière dans le cosmos) est faible, l’univers est en expansion infinie... Si Oméga est proche de 1, l’univers est stable, et si Oméga est grand, alors viendra une époque où les forces d’attraction entre les étoiles prendront le dessus sur l’actuel souffle du big bang. Epuisé, le mouvement de l’univers cessera, et commencera, dans quelques milliards d’années, une gigantesque implosion...
Soupe d'énergie
Clairement, c’est l’hypothèse de l’expansion qui tient la corde... Quantité d’indices tendent à montrer que cette expansion n’est pas en ralentissement, ou très faiblement, et devrait durer longtemps.
Mais la résurrection de lambda, la constante cosmologique, relance le débat. « Si effectivement l’univers se comportait à l’époque de ces supernovæ lointaines comme aujourd’hui, et qu’il n’y ait pas de biais dans ces mesures, les théoriciens auraient du travail sur la planche », souligne Reynald Pain, de l’IN2P3 du CNRS, et qui participe aux travaux du Supernova Cosmology Project.
En clair, si expansion il y a, et si la constante cosmologique qui pourrait correspondre à l’énergie du vide y joue un rôle, il arrivera un moment où elle pourra prendre le dessus. Car si la densité de matière dans l’univers diminue avec l’expansion, la constante cosmologique, elle, reste constante. L’équilibre pourrait être aujourd’hui de 0,7 pour lambda contre 0,3 pour la gravitation... On voit que le vide a déjà gagné la partie. L’inflation de l’univers va s’accélérer, le vide repoussant et dispersant la matière jusqu’à ce que plus rien ne soit possible. Dans 10 millions de milliards de milliards d’années, la matière des atomes sera disloquée, écartelée dans une soupe d’énergie quantique fluctuante ; l’univers sera devenu du vide... Cela nous laisse encore quelques années bien pleines..
Voir aussi nos éditions des 9 mars 1998 et 18 décembre 1998.
Le vertige de l’inflation
L’univers semble issu d’un big bang qui n’est pas comme on le croit souvent un acte de naissance, mais un horizon si chaud et dense qu’au-delà notre physique semble impuissante. Nous sommes incapables de parier sur la manière dont se comportait la matière dans ce monde inaccessible à nos outils mathématiques.
Le terme big bang parle davantage du comportement de l’univers, et de ce mouvement d’expansion de la matière visible du cosmos que les astronomes constatent dans leurs télescopes. C’est que les étoiles semblent fuir dans toutes les directions, comme sous l’effet d’un souffle immense provenant d’un instant et d’un lieu originel. La lumière qui nous provient des galaxies lointaines est ainsi décalée vers le rouge, par l’effet Doppler que cette vitesse de fuite induit par rapport à l’observateur que nous sommes. (Comme le son d’un train qui s’éloigne est modifié vers les graves.) Ce décalage, parfois appelé facteur Z, augmente avec la vitesse et donc la distance des étoiles. Albinoni, la supernova la plus lointaine observée par l’équipe de Saul Perlmutter en octobre 98, serait ainsi à 10 milliards d’années-lumière de nous, avec un Z de 1,2.
Cette inflation va-t-elle cesser ou au contraire augmenter ? Si la découverte des astronomes est confortée, elle va encore augmenter, jusqu’à éparpiller la matière et l’énergie dans un volume infini. Même les atomes ne pourront plus exister.
Un vide bourré d’énergie
Là où il n’y a pas de matière, il y a quand même quelque chose. Au moins de l’énergie, avec une densité constante dans tout l’espace. Des particules y apparaissent et y disparaissent, dans un incessant mouvement, une fluctuation.
Une expérience de physique montre cet effet. Deux plaques métalliques placées dans le vide ont tendance à s’attirer, plus ou moins, selon leur écartement. C’est la pression des particules virtuelles, plus nombreuses à l’extérieur des plaques qu’entre elles, qui explique cet effet. Les plaques de l’effet Casimir agissent comme un filtre, empêchant les particules de longueur d’onde trop importante de se faufiler entre elles.
Ce qui au final provoquerait l’apparition d’une force dilatant la géométrie de l’univers. Un peu comme si les étoiles étaient posées sur un damier, sur une page de papier quadrillé qui se déformerait en agrandissant ses mailles... Comme la matière attire la matière, le vide s’autodilaterait, le vide repoussant le vide...
Ces fluctuations quantiques (les lois qui prédisent les comportements des particules d’énergie sont des lois probabilistes) représentent une énergie qui pourrait correspondre au terme lambda.
Ce paramètre, encore appelé constante cosmologique, avait été introduit dans ses équations par Einstein, qui trouvait que sans lui ses équations n’avaient pas une allure satisfaisante.
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