L'un de ceux qui eut l'honneur d'être tamponné par les Nazis de dégénéré, Paul Hindemith (1895-1963), est à l'Opéra Bastille. Sa fresque Mathis der Maler ("Mathis le peintre") est un sublimevertige autour de l'histoire des artistes, de leurs oeuvres, de leurs soumissions, de leurs tentations...
Attention, l'errance commence en apnée. Un premier tiers doucement pontifiant. On se perd quelque part le long de l'océan du temps l'on s'endort sur la plage sous la téléphonée mélopée des vagues de l'histoire. C'est le style Hindemith, mais dans une traversée assez peu inspirée. Et comme par hasard la mise en scène d'Olivier Py aussi nous fait bailler par là. Voici qu'il se croit sous les murs de Carthage et nous ressort le coup des échafaudages partant à l'attaque du public avec une armée de coeurs là-dedans qui s'époumonent et tout ça se promène dans tous les sens que je te monte ou descend les échelles. A l'assaut. Mouais. On reste ?
Il faut rester.
Tout se déclenche après le 1er entracte. La musique monte. S'insinue. Se répercute en rythmes à la fois classiques et surprenants. Des éclats, des attentes inclassables. Des éblouissements et toujours par derrière la rumeur de l'histoire mais cette fois comme tenue à bonne distance. Les voix s'en sortent plutôt bien (même si la puissance de l'orchestre les met au défi et les mène au-delà de leurs limites).
Etonnant. Magnifique.
Py aussi s'en sort joliment en dépit de sa tendance à en commettre toujours un peu trop de tonnes. Pfffffff les chiens loup qui défilent à la botte d'un SS de carnaval et les tanks en caoutchouc. Pffff la petite toile sur scène que l'on malmène au cas où un spectateur au fond n'aurait pas capté que l'on parle ici d'un peintre et de ses pinceaux.... Ce n'est plus un retable mais une bande dessinée.
Mais le jeu des mouvements et des lumières, les édifices de papyrus rachètent le côté "toujours plus" de notre petit démiurge... Au nom de l'élégance du mur de bougies et du spectre qui s'y promène on accordera à Py l'exagération monumentale de sa deuxième partie. Py s'y excite avec les machineries de Bastille et se croirait à Las Vegas. Bon. On frôle parfois l'éclat de rigolade. Mais ça passe. Et ce qui suivra dans le troisième volet est émouvant. Je n'en parle pas. La surprise est trop parfaite.
On retrouve le Hindemith le plus inspiré, multipliant fausses pistes et connivences. La folie du monde lorsque l'on est disposé à écouter. En embuscade du néoclassique et de l'atonal. Quasiment jazz parfois ce qui ne serait pas si mal...
A quatre siècles d'écart la question posée par Mathis l'auteur du rétable d'Issenheim et Hindemith l'anti-Wagner surnage mieux que jamais : que fait l'artiste pendant que le monde crache ses flammes ? Oui et nous d'ailleurs que faisions-nous ?